Théophile referma le carnet, intrigué. Qui était cet homme si agressif?
Il emporta la question chez Madame de Douarnez l'après-midi suivante.
'Vous n'avez donc pas abandonné la vieille femme que je suis", ricana-t-elle quand il poussa la porte.
Marthe l'avait laissé sur le pas de la porte; elle lui en voulait encore de leur escapade.
"Entendrais-je, par le plus grand des hasard, un soupçon de réjouissance dans votre voix?
-Ne rêvez pas trop. Il est vrai, cependant, que vous m'occupez... mais là n'est pas le sujet! Sortez donc votre matériel de scribouillard...
-Avant, j'aimerais vous poser une question."
Étonnée par le ton empressé du biographe, elle resta silencieuse un instant.
"Mais faites", finit-elle par déclarer.
Le cercueil vide de ses parents ou le soldat réfractaire? À défaut de pouvoir répondre à la première, il satisferait sa curiosité avec la seconde.
"Dans son journal, Monsieur Ansond fait allusion à un de leurs compagnons d'armes qui aurait mal pris le fait que votre cousin soit un noble."
La vieille dame parut réfléchir un instant, mais nia:
"Je ne vois pas. Maël ne l'a jamais mentionné, ni dans ses lettres, ni à son retour. Auriez-vous d'autre éléments qui m'aideraient?
-Il est décrit comme aussi grand que Monsieur Ansond, avec des yeux gris et des mains usées.
-Peut-être que...
-Oui?
-Non, je l'ignore. Vous verrez bien en lisant la suite. Où en êtes-vous, d'ailleurs?"
Théophile retint sa frustration du mieux qu'il pût. Le sourire moqueur de sa cliente ne l'aidait pas.
"Ils ont passé Staouali.
-Seulement?
-Vous pourrez convenir que j'ai eu un peu plus de travail que prévu ces derniers temps.
-J'en conviens. Mais cessons là les tergiversations. Je vais vous conter un des épisodes importants de mon histoire, alors je vous veux toute ouïe."
"Comme je vous l'ai spécifié lors de notre dernière rencontre, mon père m'avait cherché jusque Nantes, et il ne revint que tard dans la nuit. Je fus à un moment réveillée par le grincement de la porte, mais ne bougeai point, consciente de son regard vers mon lit. Il soupira de soulagement, avant se refermer le panneau. Je me redressai alors; il s'était inquiété pour moi.
'Elle était épuisée, entendis-je de l'autre côté. J'ignore ce que vous lui avez dit, mais cela l'a secouée.'
Ma mère était présentement en train de reprendre mon père juste devant ma chambre: cette famille virait à la folie!
'Certaines de mes paroles ont peut-être été mal interprétées, se défendit-il. J'aurais dû m'exprimer plus clairement.
-Quand Iris et vous arriverez à faire preuve d'un peu de diplomatie l'un envers l'autre, notre famille sera un havre de paix.'
Je me retins de répliquer quelque chose, outrée. La seule personne avec laquelle je ne me fâchais jamais était Agathe; la seule adulte que je tutoyais aussi.
Le silence se fit à nouveau, et je pus me rendormir en marmonnant, inquiète de la confrontation future avec mon père."
"Le matin suivant, je descendis dans la petite salle à manger avec appréhension. Toute la famille m'attendait, à première vue, et je sentis mon estomac se nouer. J'étais bien la seule ici à aimer les coups d'éclat."
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Ficção HistóricaPrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...