"Lorelei chercha dans mon regard une once de soutien, au vu de l'humeur massacrante de mon père, qui était sorti de son bureau en trombe.
'Je ne sais pas si je dois être comblée pour toi ou absolument désolée pour notre cousin, me défendis-je.
-Moi non plus, Iris. Moi non plus.'
J'aurais dû être contente pour elle. Elle était ma soeur, et elle allait peut-être se marier, si les fiançailles duraient. Mais j'avais aussi appris à haïr d'Arcourt, avec toutes ces années. Et à me méfier de lui. Et maintenant que Lorelei se trouvait devant moi, le visage illuminé, je voulais penser que mon avis sur son prétendant était biaisé, qu'il ne s'agissait que du fruit d'extrapolations ridicules."
"Tous ces sentiments contradictoires affluaient en moi, et je choisis d'offrir un sourire à peu près rassurant.
'Au moins, tu vas le revoir.'
Elle me rendit ma joie au centuple.
'C'est incroyable, n'est-ce pas? Je ne l'espérais plus.
-Quel événement inattendu, en effet.'
J'avais songé aussi qu'il l'avait oubliée du fait de notre fortune peu considérable, mais le montant présumé de sa dot semblait lui convenir, finalement."
"Le jour suivant, je m'invitai de nouveau dans le bureau de mon père. L'endroit tant redouté quelques années auparavant était devenu une pièce de travail. Les immenses étagères qui m'intimidaient regorgeaient de livres plus ou moins intéressants, et le bureau de la terreur ne servait en fait que de support d'étude. Quant à celui qui se trouvait derrière le meuble, le maître de maison à l'autorité absolue, il avait du mal à se concentrer sur son administration."
"C'est ce que je pus constater lorsque je me retrouvai devant lui et qu'il jeta un dernier coup d'oeil peu convaincu à la paperasse étalée devant lui.
'Iris, me salua-t-il. Je suppose que tu veux ma réponse.
-Entre autres. Mais je ne vais peut-être pas insister sur ce point maintenant."
Mon père hocha la tête. Il se tordait les mains et ses traits étaient plus tirés que d'habitude; la dernière fois que je l'avais vu dans cet état, Maël partait pour l'Algérie.
'Très bien. Et qu'en penses-tu?
-Ce que je pense de...
-Du mariage de ta soeur.'
Tout et rien. Voilà ce que j'en pensais.
'Eh bien, sans connaissance du sujet, je ne peux point penser quelque chose de concret.
-C'est bien cela qui m'embarasse au plus au point.'
Il se leva lentement, pour regarder à la fenêtre.
'Je suis le chef de cette famille, et me voilà réduit à attendre l'arrivée d'un jeune coquelet sans le sou. Et tout cela parce que ma fille l'aime et que j'aime ma fille.'
Je ne crois pas l'avoir jamais entendu dire qu'il aimait quelqu'un. J'aurais dû me sentir chanceuse d'entendre cette confession; mais c'était Lorelei qui était évoquée. Lorelei, qui jouait au pot de fleur dans les salons. Lorelei, qui attendait parmis les bijoux, les parfums et les chapelets qu'un 'coquelet' vienne prendre son avenir en main. Et la pire des choses est que je sais qu'elle aurait pu avoir plus riche et plus concerné. L'amour rendait affreusement idiot; c'était en prévision que je voulais me charger moi-même de mes futurs biens. Je n'étais pas aussi jolie, pas aussi pieuse, pas aussi digne d'un mari, mais au moins, j'avais les pieds sur terre."
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Ficción históricaPrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...