La sonnerie retentit, lointaine, au bout du combiné. J'ai le cœur qui bat la chamade. Un clic m'indique qu'à 17000 km de là et à douze heures de décalage horaire, quelqu'un a décroché le téléphone.
̶ Allo, répond une voix ensommeillée que je reconnaîtrais entre mille.
̶ C'est moi.
̶ Oh ! la voix semble se réveiller à cette information.
̶ Je te réveille ? J'ai... J'ai reçu ton message... Pour le mariage...
̶ Dis-moi que tu seras là, me somme ma sœur Flora sans me ménager.
̶ ....
Une chape de plomb me tombe sur les épaules. J'ai la bouche sèche. Je suis vraiment un connard sans nom mais...
̶ Je suis désolé Flora. Je ne peux pas... C'est trop difficile pour moi.
̶ Je m'y attendais un peu, articule-t-elle après un très long silence pesant.
Puis ne souhaitant pas s'attarder sur cette information, elle saute du coq à l'âne, elle me demande de mes nouvelles, ce que je fais, où je suis. Je me surprends à lui raconter cette dernière semaine, le road trip dans le désert Australien, ma rencontre avec Amy, cette ovni irlandaise aux grands yeux bleus. Je lui avoue que je me suis ouvert un peu et que j'ai l'impression de revenir à la vie tout doucement. J'entends ma sœur qui sourit à travers le téléphone. Je peux presque voir sa fossette dans mon imagination.
Je sais qu'elle est déçue que je ne vienne pas, mais elle ne me juge pas pour autant. Elle en a surement gros sur le cœur, mais au fond d'elle, elle accepte ma décision. Comme elle ne m'a pas jugé sur le fait d'être parti, de jouer aux abonnés absents. Elle patiente, elle doit savoir qu'avec le temps, un jour, peut-être, je reviendrai.
Elle me donne des nouvelles des parents, qui vont bien. Ma mère s'est mise à fond dans un club de randonnée. Mon père au golf et à l'écriture. L'équilibre semble retrouvé chez mes proches, du moins en apparence. Elle me dit que je devrais les appeler, ce qui fait monter en moi une vague de culpabilité que je m'empresse de chasser loin. Elle me parle également du magasin, m'indique que mon expertise leur manque, que si je le voulais, elle me reprend à bras ouverts. Après un long moment à discuter de tout et de rien, je repose le combiné, apaisé.
Je rejoins le groupe qui est attablé pour le repas du soir. Au menu, hamburgers de barramundi et de buffle. Je choisi celui au poisson, à la chair blanche et au gout délicat. Les saveurs explosent dans mon palais. Côté gastronomie, l'Australie n'a rien à envier à la France. Amy me jette un regard interrogateur, mais elle attend que je parle le premier, si j'en ai envie. Depuis l'incident de la photo, je me surprends à échanger avec elle, mais aussi avec les autres. Je lui rapporte les propos de Flora sommairement.
Cooper, assis près de nous s'immisce dans la conversation, je finis par lui expliquer en deux mots. Même si il ne connait pas le fond du problème, il a bien saisi mon mal-être.
̶ "You can't change the rain, but you can change the way you feel about the rain", déclame Cooper tel un prophète, avec son fort accent australien.
Il voit que je ne comprends pas, alors il tente une explication :
̶ Tu ne peux pas changer la pluie mais tu peux changer ta manière de la ressentir. Cela veut dire que, même si le soleil ne brille pas, tu peux choisir de le faire briller. Tout est une question de perception des éléments. Tu peux choisir de subir, et la pluie sera alors un obstacle pour toi. Ou alors, tu peux accepter cet élément perturbateur et tenter d'en tirer le meilleur parti. C'est à toi de décider. No worries !
Le sens de sa citation s'éclaire dans ma tête. Mais est-ce vraiment si simple ? Peut-on choisir la vie ? Même quand la mort nous est tombé dessus ? Je pense comprendre, mais je ne suis pas certain d'y arriver. Je passe le reste du repas à réfléchir sur ce qu'il vient de me dire.
Le voyage touche à sa fin, demain, nous serons à Darwin. Il y a seulement quelques jours, j'aurais tout donné pour enfin être débarrassé de cette excursion touristique, et maintenant je me sens perdu. J'ai déterré des souvenirs douloureux, ce qui m'a libéré. Je ne sais pas encore dans quelle mesure mais je me sens différent.
Un joueur de didgeridoo a été convié pour cette dernière soirée. La légende raconte qu'au Temps du rêve, le protecteur des familles « Bur Buk Boon » trouva une branche creusée par les termites alors qu'il préparait du feu. Lorsqu'il souffla doucement au creux de la branche pour les faire sortir, un son envoûtant en émana et les termites furent projetées dans le ciel, créant ainsi la Voie lactée. Nous sommes tous réunis une ultime fois auprès du feu et laissons les sonorités de cet instrument traditionnel aborigène nous ensorceler. Le timbre vibrant et obsédant nous fait entrer en transe.
J'observe les visages autour de moi devenus familiers en quelques jours à peine : le couple hollandais, Maggie, Cooper, Wang, les jeunes. Et Amy, qui restera pour toujours quelqu'un de particulier. Je ne saurais dire si l'esprit aborigène m'a envoûté, à moins que ce soit la magie aride du bush australien, mais je me sens renaître à moi-même. Tel un phénix. Au début de ce périple j'étais un anonyme. Je suis redevenu Kylian.
Après avoir déroulé les derniers kilomètres de notre excursion ce matin, notre destination finale s'affiche devant nos yeux. Darwin. Fin du périple. Le Top End. J'ai parcouru 1291 km à bord de ce van, mais une distance bien plus grande dans mon cœur. Nous surplombons le port de la ville au ciel clair et à la douce brise marine. De jolies fleurs roses parsèment le paysage ça et là.
Je me sens étrange lorsque je descends du van, l'heure des départs a sonné. Je serre la main à tout le monde et remercie Cooper de bien avoir voulu me prendre à bord. Il me gratifie de son « no worries » habituel. Amy me serre brièvement dans ses bras, un peu gênée.
̶ Prends soin de toi, ok ?
Ma gorge se serre un peu. Je lui promets ce qu'elle me demande. Et ainsi, nos chemins à tous se séparent.
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Changer la pluie
General Fiction"- Tu es toujours aussi con ? Sa remarque me pique plus qu'on ne peut l'admettre. Depuis quand me suis-je transformé en ce robot dépourvu de sentiments? Je ne ressens rien. Depuis trop longtemps maintenant, je me sens mort. Comment vivre quand on es...