**** ATTENTION CE CHAPITRE PEUT ETRE CHOQUANT ****
Si tu ne souhaites pas le lire, sautes direct au chapitre suivant.
(Il a été un des plus difficile à écrire pour moi, mais j'en avais besoin, et c'est aussi celui que j'ai le moins relu, alors pardonnez moi d'avance)
Que dire de la maladie ? Comment décrire ce cauchemar ? Voir mon étoile, ma Stella, branchée à tous ces tuyaux n'avait pas été chose facile. Un enfant avec accessoires, on n'est jamais préparé. A peine le diagnostic posé, et non digéré, il avait fallu rentrer dans le vif du sujet. Cette maladie ne vous ménage pas, elle n'attend pas que vous soyez prêt psychologiquement, c'est une machine de guerre qui détruit tout sur son passage : votre vie, vos espoirs, vos rêves, votre famille.
̶ Dire que je voulais lui couper les cheveux, avait murmuré Anaïs en fixant notre fille avec ses jolies boucles blondes enfantines.
Les boucles étaient tombées, laissant place à un crâne chauve. Les jolies joues roses avaient disparu au profit d'un teint gris et bouffi. Nous avions fait connaissance avec le secteur protégé. Quel bel endroit, vraiment. Une colère inexplicable était montée en moi lorsque j'avais réalisé que le placard à balais dans le couloir était plus grand que la chambre de ma fille ! Nous nous sommes habitués à dormir sur un fauteuil ne s'inclinant qu'aux trois quarts, l'infirmière tapait dans mes jambes avec la porte à chaque fois qu'elle entrait dans la chambre la nuit.
Anaïs discutait avec chaque parent dont l'enfant était hospitalisé, revenant dévastée de ces conversations. Malgré mes mises en garde, elle persistait. Douce torture. Pour ma part, j'évitais le plus possible la salle des parents, préférant me geler les fesses devant l'hôpital que de croiser qui que ce soit. Je détestais ne plus pouvoir toucher ma fille sans devoir désinfecter mes mains au préalable, ne plus pouvoir l'embrasser à cause du masque de protection.
L'hôpital est un monde à part. Vous êtes soudainement plongé dans un monde parallèle, vous avez la sensation que vous ne pourrez plus jamais rire, que la mocheté vous assaille de toute part. Puis étrangement, ce monde devient votre nouveau repère, on s'habitue et l'anormal, à défaut de devenir normal, devient votre nouvelle réalité.
Notre Stella était restée égale à elle-même, riant du matin au soir, courant dans les cinq mètres carrés de sa chambre, me faisant craindre qu'elle n'arrache le cathéter de sa poitrine. Elle jouait à cache-cache avec nous et les infirmières derrière la porte et le fauteuil. Elle prenait mon visage dans ses petites mains chaudes et me fixait de son regard intense, comme pour m'insuffler son énergie. Sa façon à elle de nous rassurer.
Un dilemme atroce torturait mon cœur de papa. Je voulais l'aimer, l'aimer sans conditions, mais une protection s'était formée à mon insu, entourant mon cœur d'une carapace. Alors je prétendais, je prétendais l'aimer comme avant, tout en m'éloignant d'elle pour me protéger. Je m'en voulais terriblement, je culpabilisais, je voulais l'aimer. Je l'aimais à en mourir, mais je ne pouvais plus l'aimer.
Quatre mois après le début des chimiothérapies et après trois cures du protocole de traitement, Anaïs s'adressa au médecin en plein milieu du couloir du service d'onco-hématologie. A la vue et aux oreilles de tous les autres parents.
̶ Le professeur a dit ce matin que la chimio ne fonctionne pas. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce qu'il y a un autre traitement ? Si la chimio ne fonctionne pas... Dites-moi, est-ce qu'il y a un autre traitement ? Si la chimio ne fonctionne pas...
Elle répétait ces phrases en boucle. La médecin jeta un coup d'œil à son infirmière à côté d'elle.
̶ Allez chercher le psychologue, lui somma-t-elle, on se rejoint dans mon bureau.
Nous étions à présent tous assis dans ce bureau. Immense bureau, bien plus grand que la chambre de Stella, je me faisais cette réflexion idiote. Il y a eu un moment où je mesurais chaque endroit et le comparait à l'endroit où était confinée ma fille. Le tapis chez mes parents, même taille. Le hall d'entrée chez nous, plus grand. La porte s'ouvre sur le psychologue, qui prend place à son tour.
Je ne peux décrire ce qui se passe entre ses quatre murs et encore moins les émotions qui m'envahissent. Je n'ai pu à aucun moment regarder Anaïs mais j'ai senti sa détresse pénétrer en moi de toutes parts pour s'ajouter à la mienne.
Plus rien à faire, greffe inenvisageable, soins palliatifs, gestion de la douleur. Je sais juste dire que ma vie en est changée à jamais, que mon monde a perdu ses couleurs et ses odeurs.
Que peut-il y avoir de pire pour un parent que de voir la chair de sa chair s'éteindre à petit feu et y assister impuissant ? Stella a été branchée à une pompe à morphine et Anaïs la baladait en poussette dans les couloirs pour tenter de la calmer. Elle lui donnait le bain cinq fois ou plus par jour car la petite aimait ça. Les infirmières changeaient le pansement de la voie centrale après chaque baignade, sans rien dire, pleines de patience et d'empathie. Que pouvaient-elles faire de plus ?
Anaïs et moi sommes restés cloîtrés chacun dans notre souffrance. Si elle a parlé de la mort imminente de notre fille avec quelqu'un, ce n'est pas avec moi. J'ai eu le malheur de croiser son regard une fois à cette période et la folie douce qui s'en dégageait m'a cloué au sol. Je souhaite à personne de ne jamais voir ce regard.
Puis la réalité nous rattrape. Stella ne va pas vivre. Stella va mourir. Je vois la flamme de vie de ce petit être qui a fait de moi un papa la quitter peu à peu. Elle n'a plus d'énergie pour sourire. Son agonie sera courte, quelques semaines et quelques jours à peine après l'annonce du médecin. Notre famille a défilé la veille de son décès pour des adieux. Certains apportaient même encore des cadeaux et des jouets. Beaucoup aussi ne sont pas venus, la mort doit être contagieuse. Anaïs et moi étions là pour son ultime souffle. Le dernier regard de ma fille hante encore chacune de mes nuits.
̶ C'est fini, chuchote doucement une auxiliaire.
On voit qu'elle a une information à nous communiquer mais qu'elle se dégoute d'avoir à le faire. Elle n'est que le messager.
̶ Un brancardier va venir la chercher... Pour l'emmener au service mortuaire. Vous voulez l'habiller ou la laisser dans son babygros ?
La morgue. Ce putain de service à côté de l'entrée de l'hôpital. Le panneau accrochait mes yeux chaque jour depuis qu'on était ici. Comme les cimetières et les pompes funèbres que je voyais partout sur ma route depuis que Stella était malade. Je ne pouvais imaginer mon enfant dans une de ces cases réfrigérées. Encore moins que je ne pouvais imaginer son corps se décomposer dans un cercueil.
Lorsque je remontais dans sa chambre plus tard ce jour, elle avait déjà été vidée de ses affaires, son nom effacé de l'ardoise. Un autre enfant devait prendre la chambre. Ici l'horreur n'attendait pas. Par terre, quelque chose attira mon regard. Avant même de le ramasser, je reconnu le petit bracelet rose d'identification de l'hôpital. Dessus, le nom de ma fille et sa date de naissance.
Ça me percuta alors de plein fouet. Ses petites mains ne seraient plus jamais chaudes. Son rire ne sonnerait plus jamais à mes oreilles. Ses petits bras n'encercleraient plus mon cou à la recherche de réconfort. Je voulais mourir.
Je voulais la pluie, je voulais l'orage et les ténèbres, je voulais une tempête. Tout sauf ce putain de soleil qui brillait, complètement insensible à ma tourmente intérieure.
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Changer la pluie
Ficción General"- Tu es toujours aussi con ? Sa remarque me pique plus qu'on ne peut l'admettre. Depuis quand me suis-je transformé en ce robot dépourvu de sentiments? Je ne ressens rien. Depuis trop longtemps maintenant, je me sens mort. Comment vivre quand on es...