***** ATTENTION !! CE CHAPITRE PEUT ETRE CHOQUANT *****
Ce matin-là, rien ne laissait présager une journée inhabituelle. J'avais emmené Stella, à présent 17 mois, à la crèche pendant qu'Anaïs dormait encore. Elle me rejoindrait plus tard au travail. Vers 10h30, Anaïs pousse la porte du magasin, une inquiétude sur son beau visage.
̶ La crèche m'a appelée et ils m'ont dit qu'ils ont remarqué des boules inhabituelles sur le corps de Stella. Ce n'était pas très clair, mais la Directrice m'a dit qu'il vaudrait mieux aller vérifier. J'ai pris rendez-vous à treize heures avec le pédiatre, pourras-tu l'emmener ? Je dois terminer des commandes importantes. Puis c'est surement rien encore, souffle-t-elle un brin énervée.
̶ Pas de problème, j'irai.
Notre matinée se poursuit, au travail, comme d'habitude. A midi trente, je pars récupérer Stella. La directrice me fait observer les espèces de kystes qu'elle a remarqués dans le cou et le dos de la petite. J'avais peut-être vu aussi, il y a quelques jours, mais je ne sais pas, je ne sais plus. Le pédiatre nous reçoit vite, on est son dernier rendez-vous de la matinée.
Je tombe de quatre étages lorsqu'il m'indique de nous rendre aux urgences du grand hôpital à une heure de la maison. Alors qu'il y en a un à dix minutes de chez nous. A cet instant, je ne comprends pas trop, j'appelle Anaïs qui rentre préparer quelques affaires. Je la récupère sur place et nous voilà partis. Il règne un silence de mort dans la voiture, mille pensées nous assaillent mais nous ne pouvons mettre de mots dessus. C'est une journée magnifique, avec un soleil radieux, trop chaude pour ce début d'automne.
Stella babille derrière, bien que ce soit l'heure de sa sieste, elle n'a pas l'air décidée à dormir. Une fois aux urgences, nous nous donnons l'impression d'être des imposteurs, Stella court partout dans la salle d'attente en riant aux éclats. Après plus d'une heure d'attente, une interne nous reçoit. Elle lit attentivement le mot que nous a remis le pédiatre puis ausculte Stella. Je lui montre les excroissances à peine visibles sur le corps de ma fille mais elle persiste à dire : « Ah bon ? Vous voyez quelque chose vous ? ». Le sentiment qu'elle ne nous prend pas au sérieux commence à m'énerver quelque peu. Finalement, Anaïs insiste, et l'interne nous envoie au laboratoire de l'hôpital pour une prise de sang.
Anaïs, qui ne supporte pas les hôpitaux et les soins médicaux me laisse avec Stella pour le prélèvement sanguin. Elle m'avouera par la suite que rester derrière la porte en entendant notre fille hurler avait été pire que d'assister au soin. Nous attendons encore une heure avant que l'interne ne revienne nous voir avec les résultats. L'ambiance change, je vois dans son regard qu'elle nous prend désormais au sérieux. Mauvais résultats sanguins. Leucémie. Le mot tombe tel un couperet.
Cette journée banale se transforme en cauchemar. Les heures qui suivent sont floues. Davantage d'examens, Stella hurle. Anaïs s'énerve car la petite hurle de faim mais on nous interdit de lui donner à manger. Pose de cathéter, perfusion. Courir derrière la petite avec son pied à perf qui menace de s'arracher à chaque va et vient. Il est 21 heures quand enfin, on nous autorise à monter notre fille en chambre.
Nous ne pouvons plus nous regarder avec Anaïs. Quand j'y repense, je me dis que là a été notre plus grande erreur. Dès le début, nous n'avons su communiquer et sommes restés enfermés chacun dans notre peine. J'avais l'impression qu'un gouffre s'était ouvert sous mes pieds. La terreur saisit chacune des particules de mon être et de mon esprit. On peut imaginer, mais le vivre est autre chose. Le pire a été d'appeler nos proches. Se prendre leur douleur en pleine tronche quand on ne sait pas soi-même gérer la sienne.
*****
J'observe Anaïs, attablée à droite de la table d'honneur. Elle me semble différente du moment où je l'ai lâchement abandonnée. Elle a dû, comme moi, faire un cheminement très personnel ces dernières années. Mon père attrape le micro pour faire un discours sur les mariés. Il mentionne la petite fille parfaite qu'était Flora dans son enfance, laissez-moi rire. Puis il raconte mon arrivée et notre manière bien à nous de nous liguer pour faire les pires bêtises. Il mentionne sa rencontre avec Guillaume, à présent devenu officiellement son gendre. Il termine son élocution en leur souhaitant de fonder une jolie famille.
Ce souhait me fait l'effet d'un coup de poing. Je jette un coup d'œil à celle qui est toujours ma femme et je vois qu'elle a, comme moi, un sentiment amer dans la bouche et qu'une émotion corrosive coule dans ses veines à ces mots. La vie continue, certes, mais l'oubli est le pire des châtiments.
Le disc-jockey balance une musique rythmée bien forte, je reconnais bien là Flora dans son choix de musique. Très rapidement, la fête bat son plein, les vestes de costumes tombent, les chaussures à talons attendent sagement leurs propriétaires à côté de leur table. Je sors prendre l'air dans la nuit estivale. Les cigales se sont tues à présent. Je ne suis pas surpris de trouver Anaïs en train de fumer une cigarette.
̶ T'en veux une ?
̶ Tu sais bien que non.
Elle grimace à ma réponse. Son regard se porte sur le tatouage sur le dos de ma main.
̶ Une étoile pour une étoile... J'aime beaucoup....
Elle me montre l'intérieur de son poignet où s'affiche une étoile également. La sienne n'a que les contours, là où la mienne est pleine. Elle se met à rire et le son me réchauffe de l'intérieur. Puis son visage redevient grave.
̶ Quand... Quand tu es parti, j'ai été dévastée. Je n'ai pas compris. Mais ton départ m'a fait l'effet un électrochoc. Je ne pouvais plus rester à me morfondre. Je me laissais couler à petit feu, je voulais être morte tu comprends ? Je me suis lancée à fond dans une association qui promeut les dons de vie. Don de sang, de plaquettes, de moelle osseuse. Ça ne change rien mais ça m'aide à donner un sens à tout ça. Et... l'appart... notre appart... j'ai déménagé. J'espère que tu ne m'en voudras pas. Une chambre vide, c'était déjà beaucoup, mais deux...
Je reste silencieux à ses confidences. Je voudrais lui expliquer, lui dire qu'elle n'y est pour rien. Que ma peine m'avait englouti, que voir la douleur dans ses yeux faisait miroir à la mienne et que c'était trop. Que je suis un con, c'est tout.
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Changer la pluie
General Fiction"- Tu es toujours aussi con ? Sa remarque me pique plus qu'on ne peut l'admettre. Depuis quand me suis-je transformé en ce robot dépourvu de sentiments? Je ne ressens rien. Depuis trop longtemps maintenant, je me sens mort. Comment vivre quand on es...