Epilogue

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Isabela a été la première à s'en sortir. Elle s'est réveillée, il y a un peu plus de six heures. Elle est actuellement en salle de soins intensifs et semble ne présenter aucune séquelle des quelques onze années passées en hibernation. Le second fauteuil de la salle de soin lui était réservé. L'équipe médicale l'a utilisé pour la première fois il y a tout juste soixante-douze heures lorsque les courbes sinusoïdales indiquant l'activité du cerveau se sont emballées. Les signes de réveil étaient on ne peut plus clairs. La sphère de la jeune femme a été vidée de son gel et ils l'ont transportée en salle de réveil. David l'a rejointe presque aussitôt, ses courbes suivaient de près celles de la jeune femme.

Contre toute attente, c'est elle qui a ouvert les yeux en premier. Une heure avant, elle venait de sortir de son coma profond pour entrer dans un sommeil profond. Cette période lui a permis de petit à petit, ressentir ce qui se passait autour d'elle. Des bruits étouffés lui sont parvenus, suivis d'agréables sensations physiques. Les soins des infirmières qui, à l'aide de massages, l'ont aidée à se resituer dans son environnement. Ce fut d'abord comme un fourmillement qui lui parcourait tout le corps, suivi de légères décharges électriques. Une sensation de chaleur insupportable qui s'estompe à mesure qu'elle reprend ses esprits. Une douce vague de fraîcheur est finalement venue l'envahir et finir de réveiller ses sens. Ses paupières se sont lentement soulevées pour laisser filtrer la faible clarté qui provenait de tout autour d'elle. Cette pénombre qui laisse à peine deviner les formes des personnes présentes, était encore trop forte pour ses yeux endoloris par tant d'années sans voir la lumière. Les forces lui manquaient pour se cacher de cet éblouissement soudain. Impossible de relever la couverture ou masquer ses yeux à l'aide de son bras. Impossible aussi d'appeler quelqu'un pour qu'il éteigne la lumière. La douleur aiguë persistait alors qu'elle forçait sur ses paupières fermées de toutes ses forces. L'explosion dans ses yeux lui renvoyait des milliards d'éclats lumineux, tels une multitude de poignards lancés vers ses pupilles. Puis la pénombre est revenue, enfin. Plus que le sentiment de bien être créé par ce masque de nuit posé délicatement sur son visage, c'est celui qui l'a posé qui a transformé son état. Elle l'a senti venir avant même qu'il ne la touche. Le terme sentir est bien le plus approprié puisque c'est son parfum qui est venu d'un coup inonder ses narines. Ce parfum, elle l'aurait reconnu entre tous. Au-delà d'être exceptionnel parce que fait sur mesure, elle en a été en grande partie la conceptrice. Alors qu'elle avait treize ans, son père l'avait emmenée chez l'un des plus grands parfumeurs de Paris, afin qu'elle donne son avis sur les échantillons sélectionnés pour lui. Elle n'avait pas hésité une seconde. Cette odeur lui avait tout de suite plu, sans qu'elle sache vraiment pourquoi, elle avait reconnu dans ce savant mélange de différents arômes, la présence de son père. Elle vient de le reconnaître à l'instant.

Alors qu'elle aurait pu entendre le bruit léger des roues du fauteuil s'approcher d'elle, c'est ce parfum qui a précédé l'arrivée de celui qui représente tout pour elle. Quel immense bonheur de le sentir là près d'elle, comme avant. Elle a tellement espéré le voir arriver dans son cauchemar pour la libérer, en vain. Mais aujourd'hui, sa présence vient comme lui confirmer que cela est bel et bien fini. Avec son père auprès d'elle, elle est en sécurité. Comme toujours, il a compris sans qu'elle ait besoin de dire un mot, qu'elle souffrait. Il a tout naturellement posé ce masque sur ses yeux qu'il sait endoloris. Il est maintenant aux côtés de sa fille qu'il a cru à jamais perdue. Toutes ces années à l'attendre pour enfin, pouvoir lui prendre la main et lui dire que plus jamais il ne la laisserait seule. Don Reclo se dit à ce moment-là, que, pour une fois, son immense fortune aura servi à quelque chose d'utile. Etrangement, il se dit aussi que c'est la première fois qu'il a l'impression d'avoir réellement fait quelque chose de bien dans sa vie.

Isabela, bien qu'encore sous le choc du réveil, commence à rassembler ses esprits. Elle se souvient de Valéria et de Pablo qui sont venus la chercher. Ils avaient avec eux des éclaireurs qui leur ont montré la sortie. Qui sont-ils ? Et surtout où sont-ils ? Isabela se souvient de plus en plus clairement des derniers instants passés dans le château puis dans le jardin. Au moment de s'installer dans le fauteuil, ils étaient nombreux autour d'elle. Etaient-ils eux aussi prisonniers du château ? Trop d'efforts la fatiguent, elle s'endort.

David est encore en salle de réveil lorsque Don Reclo partage ce moment avec sa fille. Les écrans disposés autour de lui n'indiquent rien d'inquiétant. C'est du moins ce que les infirmières ont dit à Madame Serdt. Aude et elles sont les seules autorisées à approcher David. Il a du mal à se réveiller, il ne faut surtout pas le brusquer. Les deux femmes se contentent de l'observer, certaines qu'il peut sentir leur présence. Madame Serdt fixe les paupières de son fils. Elle tente de lui transmettre son énergie. Derrière la vitre qui sépare la chambre du jeune homme du reste de l'hôpital, son père, sa sœur, le reste de sa famille et ses amis l'attendent. Tous guettent un geste de David. Cela peut paraître ridicule, mais son père est sûr qu'il va se réveiller d'un coup et lui faire un signe de la main. Peut-être le V de la victoire avec son index et son majeur.

Madame Serdt est inquiète. Elle redoute le moment où David va ouvrir les yeux. Va-t-il récupérer tous ses moyens, n'aura-t-il aucune séquelle de ce voyage dans l'autre monde. Une foule de questions parfois morbides lui traverse l'esprit. Malgré les bonnes nouvelles qui lui parviennent de l'état de santé d'Isabela, elle ne peut s'empêcher de s'inquiéter. Elle aurait aimé entrer une dernière fois en communication avec son fils. Lui dire que le réveil allait être brutal, mais qu'elle serait là. Elle n'en a pas eu le temps, la tornade imprévue dans le monde d'Isabela a précipité les choses. Il a fallu les sortir de là rapidement.

Madame Serdt connaît bien désormais le fonctionnement de l'hôpital. Elle a bien conscience qu'elle n'est qu'un pion dans ce jeu entre Melle Fernel et Don Reclo. Tout ce qu'il s'est joué ici depuis toutes ces années vient d'aboutir. La méthode mise au point et développée en secret grâce en grande partie à l'aide de David, va maintenant pouvoir être exploitée. Les enjeux financiers sont énormes et la soif de reconnaissance des chercheurs aussi.

Demain, il faudra révéler au monde entier les résultats de ces recherches et surtout, l'extraordinaire succès.

Une étape se termine, une autre commence. L'aventure de David n'est pas finie, le réveil s'il se passe sans problème déclenchera une succession d'épreuves qu'il devra franchir.

Madame Serdt le sait bien, son fils a devant lui de longues semaines de rééducation. En se réveillant, il gagne le droit de participer au programme mis en place par l'hôpital. Ce programme a été pensé par l'équipe de Valéria en réponse aux effets secondaires éventuels inhérents à un séjour prolongé en apesanteur dans la sphère.

Ces effets sont inconnus, mais l'on suppose qu'ils doivent être assez proches de ceux subis par les astronautes lors d'un long séjour dans l'espace. C'est du moins ce qui est supposé concernant le corps. Pour ce qui est de l'état psychologique de David et d'Isabela, ils n'en savent rien. C'est la grande inconnue.

Valéria a prévenu la famille de David qu'il pourrait se passer plusieurs mois, voire plusieurs années avant que le jeune homme ne récupère toutes ses capacités physiques et mentales. Une longue période que l'hôpital prendra en charge. De toute façon, rien ne pourrait décourager Madame Serdt. Son fils est en passe de s'en sortir, et pour elle, c'est l'essentiel. Elle fait confiance à l'équipe de Valéria.

Elle tient la main de Aude dans la sienne, elle sait aussi que les sentiments de la jeune femme pour son fils sont plus forts que jamais.

David a de bonnes raisons de reprendre rapidement goût à la vie, il peut venir, tout le monde est prêt à l'accueillir.

Un mouvement de foule dans le dos de la mère de David l'arrache à ses pensées. Valéria rentre dans la pièce suivie du professeur Paint. Dans l'encadrement de la porte restée ouverte, les visages familiers affichent de larges sourires. Valéria s'adresse à Madame Serdt qui vient de comprendre.

« Les indicateurs de la salle de contrôle viennent de le confirmer. David est réveillé ».

Comme pour appuyer les dires du professeur, David ouvre les yeux. Il fixe sa mère et esquisse un sourire. Son regard se pose longuement sur Aude et glisse vers la porte d'entrée.

Au bout d'un long moment qui semble une éternité, il lève difficilement son bras droit. A l'aide de son index et de son majeur, il forme le V de la victoire, les yeux fixés sur son père. Il lui répond. Un immense bonheur se lit dans ses yeux alors qu'il s'avance vers son fils, suivi par les autres.

Ils sont tous là, ceux qui ont tout fait pour que David revienne. Ils ont réussi. David est de retour.

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⏰ Dernière mise à jour : May 11, 2020 ⏰

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