| Chapitre 6 |

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J'ai toujours aimé plonger dans l'eau, qu'elle soit chaude ou froide. La sensation de liberté et d'être aussi léger qu'une plume que me procurait cet élément avait, pour moi, un goût de paradis. Ne plus rien entendre, être simplement porté ainsi que transporté par cette puissance ensommeillée avait de quoi m'apporter à son tour le sentiment d'être aussi fort qu'elle. Tout comme, paradoxalement, elle me rendait aussi insignifiant que je l'étais réellement. Mais le meilleur dans tout ça ? Elle me laissait croire que rien ni personne ne pourrait me faire de mal lorsque j'étais sous elle, mis à part cette dernière selon son bon vouloir et son humeur du jour.

J'ai toujours cru que je mourrais noyé par sa grâce. Je l'ai vu tant de fois dans mes cauchemars, adolescent, que ça ne pouvait en être autrement. Et cela l'a été le jour où j'ai eu le malheur de croiser la route de ce loup au pelage si obscur que les rayons de la Lune s'y reflétaient. Ici, en plein cœur de ce territoire dans lequel je m'étais aventuré et perdu sans même faire attention, guidé par l'appel de l'astre haut dans le ciel. Inévitablement, à force, j'en ai développé une peur profonde mais mon admiration pour cet élément n'a jamais cessée et ne s'est jamais envolée. Alors intérieurement, j'aimais croire que ce serait elle qui viendrait me chercher. Me délivrer.

Égoïstement, j'ai rejeté la faute sur cet animal à la beauté pure. Sur ce même loup qui m'obsède depuis lors et que je retrouve inlassablement dans mes rêves ainsi que dans mes dessins. Exactement comme sur celui que j'ai accroché au-dessus de ma commode, incapable de l'oublier et de passer à autre chose. Ce même dessin où j'ai fini par ajouter la présence de plusieurs autres loups afin de lui offrir de la compagnie, chassant ainsi cette impression de solitude. Pourtant, ce soir-là, il n'était pas seul. Il était entouré et accompagné, ou du moins il devait l'être. D'ailleurs, ce bougre ne m'a jamais remercié. Tout comme je ne l'ai pas fait non plus de ne pas m'avoir réduit en charpie pour être entré sur son territoire. Non, il m'a simplement laissé admirer l'étendue d'eau qui s'offrait à moi.

Parfois, j'ai l'impression d'avoir imaginé sa présence tant je me sentais moi-même seul et à l'abandon. Et c'est plus que plausible par la faute des cachets que je prenais dans l'espoir de faire sortir la bête en moi. Ce fameux traitement qui avait été mis en place par mon cher papa adoré. J'aimais croire que le loup que j'avais eu la chance de voir dans l'obscurité de la Lune était en réalité une simple vision de moi. Un simple reflet de ce que j'étais réellement, tout au fond de mon être.

Hallucination sur hallucination.

Nausée sur nausée.

C'était mon quotidien.

Néanmoins, comme cela l'a toujours été, la Lune n'a ni entendu mes désirs ni mes prières. Je ne mourrais pas paisiblement sous l'eau mais sous les propres coups de mon père et ceux de mes camarades de meute après avoir subi la pire humiliation qui soit. Là, allongé sur le sol dur et froid de cet endroit inconnu, avec une pluie fine en guise de compensation. Abandonné, meurtri, pratiquement mort. Au moins, j'avais eu ce que je voulais : goûter une dernière fois au plaisir de la chair. Piégé, forcé, volé. J'aurais simplement aimé ne pas me faire avoir aussi facilement, croire et espérer de tout cœur que j'allais m'en sortir. J'aurais aimé ne pas commencer à penser que si, finalement, j'avais une bonne étoile. Présente mais très bien caché par de nombreux nuages gris.

Tout ce à quoi je pense en cet instant, tout ce qui m'est le plus douloureux dans tout ça, c'est de ne pas avoir dit à ma mère l'amour que je ressentais pour elle en dépit de tout ce qui s'est passé. C'est stupide néanmoins, je le regrette. Revoir son sourire une dernière fois, manger une part de son gâteau aux fraises une fois de plus et rire avec elle une millière fois. C'est ironique en sachant que je n'étais plus à la maison depuis plusieurs mois déjà, bien que je revenais toujours après que l'on soit venu me secourir. Cependant, je ne restais jamais longtemps. Je ne m'attardais pas. C'était trop. C'était beaucoup trop dur. Mais j'aurais dû le faire. Pour elle. Pour moi. Pour nous.

Cœur de Glace [En Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant