Bienvenue à bord - 7

62 9 0
                                    

Le ciel italien était clair lorsqu'ils se posèrent au petit jour. Théophraste avait regardé le capitaine manœuvrer son ballon avec doigté et légèreté. À peine avait-il ressenti une secousse lors du contact avec le sol. Le vol de nuit s'était fait en silence, chacun se concentrant sur le ciel balayé par les phares, ou sur la carte auto-mobile. Cela avait été à la fois monotone et éprouvant pour les nerfs, surtout lorsqu'ils avaient approché de Milan et des innombrables dirigeables en vol stationnaire aux abords de la ville. Puis ils avaient entamé la descente.

Alors que l'équipage veillait au réapprovisionnement en eau et en charbon, Théophraste suivit Aloysia, emmitouflé dans son manteau pour se protéger du froid de l'aube. Le bureau des postes et télégraphes se situait près de la capitainerie. Pendant qu'il se dirigeait vers le service de communication, elle alla déposer un plan de vol au second bureau. L'homme, au comptoir, devait être arrivé là par hasard car parlait un Français approximatif et un Anglais encore pire. Théophraste finit par écrire le message pour ses parents.

« Parti faire voyage avec amis en Europe. Reviens dans quelques jours. Ne vous inquiétez pas. Avec toute mon affection, votre fils, T. »

L'opérateur tapa sur sa petite machine et le message fila à travers le continent. Après ça, Théophraste attendit le retour d'Aloysia et rentra au ballon les poches vides.

Les ouvriers de la station s'affairaient autour des soutes de l'aéronef. Le capitaine veillait à l'équilibre des charges. Théophraste et Aloysia se tinrent à bonne distance, les observant un moment.

— Aloysia ?

— Oui.

— Comment s'appelle le ballon ?

— Wolnochtch, prononça-t-elle étrangement, alors qu'il était écrit « Wolnosc ». C'est du Polonais, précisa-t-elle.

— Est-ce que le capitaine l'est ?

— Je sais qu'il y a passé un certain temps, mais il y a surtout acheté le vaisseau il y a quelques années.

— Et qu'est-ce que ça va veut dire ?

— Liberté.

Théophraste trouvé le nom approprié, finalement, car c'était ce qu'il représentait pour lui. Était-ce un nom donné au hasard ou avait-il la même signification pour lui que pour le capitaine ? Il ne le connaissait pas assez pour lui poser la question.

Les machinistes faisaient une pause avant le décollage, le second préparait les cartes pour la suite du voyage, passant les lentilles dans la lumière du projecteur pour vérifier leur contenu.

— Nous sommes prêts, annonça-t-il avec satisfaction.

Il s'assit dans son fauteuil et s'amusa à le faire pivoter. Aloysia leur proposa une chicorée et ils acceptèrent bien volontiers. À Syracuse, ils trouveraient du café.

— Et à Cracovie, de la vodka ! rigola Laurent.

— Les pilotes ne boivent pas ! rétorqua-t-elle. Moi, en revanche, rien ne m'en empêche !

Elle ramena trois tasses fumantes qu'ils burent tranquillement, bercés par le ronronnement des machines qui se mettaient en branle. Lorsque celui-ci s'intensifia, ils surent que le départ était imminent. Le capitaine apparut sur la passerelle et la traversa d'un pas sûr, adressant un regard à chacun, puis s'installa à son poste. Son charisme était indéniable. Théophraste sentit cette chose au creux de son ventre se répandre en douce chaleur dans ses veines. Il lui avait promis qu'à Syracuse, ils auraient la nuit pour eux. Il avait hâte de se poser à nouveau.

Une sucette à la menthe dans la bouche, Théophraste regarda la campagne toscane s'étirer sous ses pieds, puis les Apennins. Au large de la banlieue de Rome, les ballons publicitaire, motorisés ou non, pullulaient. Ils faisaient la réclame de ces nouvelles machines à deux roues propulsées par la vapeur. Elles filaient dans toutes les grandes villes, au grand dam des conducteurs de trams et omnibus qui ne les voyaient pas surgir. Là, un autre dirigeable vantait les mérites des lunettes de conduite assurant une nyctalopie parfaite, ici c'était pour des produits en conserve, soi-disant appréciées par tous les pilotes au long-cours. Il y en avait tant qu'aucun cargo ne se posait à Rome, lui préférant l'antique port de la cité latine : Ostie. 

A bord du LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant