Bienvenue à bord - 8

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Les terres plus sèches et plus chaudes du sud de l'Italie, le détroit de Messine puis, enfin, la Sicile. En descendant, ils aperçurent les orangeraies dont ils venaient chercher les récoltes. Du vert, du brun et du jaune à perte de vue... Théophraste, qui n'avait connu qu'Anvers, Bruxelles et la campagne flamande, se trouvait fort dépaysé.

Le capitaine commença à donner des ordres pour cette escale. Laurent et Aloysia veilleraient au déchargement des fleurs et au chargement, avant le départ, des agrumes. Comme souvent lors des escales, l'équipage passait la nuit à terre. Plus de confort et moins de bruit. Le capitaine adressa un regard de connivence avec Théophraste : eux resteraient à bord. Seuls. De toute façon, le pilote ne quittait presque jamais son vaisseau, sauf pour boire un verre, prendre un repas ou un peu de bon temps.

Le dirigeable se posa. Laurent et Aloysia montèrent sur le pont pour lancer les amarres aux dockers sur le quai. Elle s'en alla prendre contact avec les marchands qui devaient réceptionner la cargaison. Laurent vint récupérer ses affaires, leur souhaita une bonne soirée et quitta l'aéronef. Les deux machinistes mirent les moteurs à l'arrêt et, à leur tour, désertèrent les lieux.

— J'ai encore des choses à faire, déclara le capitaine à son jeune amant. Tu peux m'attendre dans la cabine, si tu veux.

Le jeune homme opina et retourna dans leurs quartiers. La cabine n'était pas grande et la chaleur y était presque étouffante. Le métal de la coque avait été chauffé par le soleil ainsi que par l'activité des moteurs. Il tourna la poignée du hublot pour avoir de l'air. À l'extérieur, l'aéroport ressemblait à une ruche. Il se détourna de l'agitation et déboutonna les premiers boutons de sa chemise après avoir desserré cette fichue cravate qu'il avait eu la mauvaise idée de mettre. Il s'assit à la table de travail, sur le tabouret du maître des lieux, et consulta les cartes qui s'étalaient devant lui.

Le capitaine termina de mettre les choses en ordre et quitta la passerelle, impatient. Quelques pas seulement le séparaient de son amant. Il ne pouvait plus se passer de son aventurier en herbe. Il pénétra dans la cabine surchauffée et le trouva les joues adorablement rougies. Il avait transpiré et une légère odeur mâle envahissait l'espace restreint de leur chambre. Il lui attrapa le poignet et l'obligea à se lever. Entre tendresse et fermeté, il l'entraîna jusque sur le pont. La toile du ballon prenait la teinte orangée des cieux et le soleil se couchait entre les nuages sombres. Un peu plus loin avait lieu une petite fête, d'après les rires et la musique qui leur parvenaient.

Le capitaine enlaça Théophraste et entama un pas de danse maladroit ; sans doute le manque d'habitude. Le jeune homme, ravi d'être dans ses bras, le laissa mener. Soudain, l'averse éclata, chaude, ruisselant sur leurs visages. Elle n'effaça pas leurs sourires complices. La pluie pouvait bien les tremper, cela n'avait pas d'importance car ils avaient l'impression, à cet instant, d'être seuls au monde. Lorsqu'un éclair zébra le ciel, ils se réfugièrent dans la cabine. Ils ôtèrent les vêtements qui leur collaient à la peau et basculèrent sur le lit. L'étroitesse de celui-ci limitait les acrobaties. Le capitaine couvrit son jeune amant de son corps, le couvrant de baisers et de caresses, s'émerveillant encore de la sensualité de cet homme mince et souple qui assumait ses désirs. Il n'avait pas eu besoin de le dévergonder, Théophraste répondait au moindre attouchement malgré une réserve touchante. Il n'osait pas toujours lui rendre ses caresses pourtant, lorsqu'il le guidait, il lisait le plaisir dans ses yeux. Comme lorsqu'il guida sa main, puis sa bouche, vers son membre. Ou comme, un peu plus tard dans la nuit, quand à la lumière mourante de la lampe à huile, il investit ses reins. Dans un sursaut incontrôlé, son corps vint à la rencontre du sien. Théophraste découvrait encore ces sensations qui lui remuaient le ventre, cette intrusion si délicieuse, qui faisait de son amant son prisonnier. Il ne s'était jamais senti aussi libre qu'en recevant cet homme en lui. Une main dans ses cheveux hirsutes, l'autre sur sa hanche, le capitaine s'unit à lui dans une étreinte passionnée, brûlante, qui les mena au bord de l'agonie. Pantelant, à bout de souffle, ils demeurèrent immobiles un long moment, gisant pêle-mêle sur la couchette. Le cliquetis de la pluie sur la coque du vaisseau leur parvint lorsque leurs cœurs cessèrent de tambouriner dans leurs poitrine. Le capitaine tira les draps sur eux et enveloppa son jeune compagnon de ses bras. Il déposa un dernier baiser sur ses lèvres alors qu'il sombrait dans le sommeil. Ils avaient bien mérité un peu de repos mais un sentiment tenace tint le capitaine éveillé encore de longues minutes... 

A bord du LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant