Bienvenue à bord - 12

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Comme il l'avait prévu, son retour ne fut pas triomphal. Son télégramme était bien arrivé à destination mais son escapade européenne impromptue n'avait pas été bien accueillie. Sous les récriminations paternelles, il leur annonça qu'il s'embarquait sur un aéronef commercial pour apprendre à piloter. La demeure familiale n'avait certainement jamais entendu de tels cris. Sa mère se joignit au concert paternel, si bien que Théophraste dut bloquer la porte de sa chambre avec une chaise pour avoir le paix pendant qu'il emballait ses affaires. Des vêtements pour tous les temps, sa cape de pluie, des souliers fourrés, un chapeau, quelques livres et papiers, et une photographie de la famille, pour ne pas les oublier en route. Pour ne pas oublier, non plus, pourquoi il partait. Il empaqueta le tout dans une malle. Il y avait un chariot dans l'office pour la transporter. Avant cela, il lui fallait sortir de la pièce et affronter les dragons qui l'attendaient de l'autre côté. Il les entendaient se plaindre, supplier ou l'admonester.

— Une vie de pilote, quelle hérésie !

Et encore, ils ne savaient pas qu'il partait pour être avec un homme de vingt ans son aîné, dont il était amoureux et avec qui il s'était livré aux pires ignominies.

Il passa en vitesse, alla chercher le chariot, redescendit avec sa malle et attrapa son manteau.

— Finalement, je ne souperai pas ici, annonça-t-il. Si vous avez un message à me faire parvenir, adressez-vous à la capitainerie aérienne, ils sauront où me trouver, à bord du Deuxième chance. Je vous enverrai une lettre dès que je pourrai. Au revoir mère, dit-il en l'embrassant sur la joue. Au revoir père.

Théophraste ouvrit la porte, poussa sa malle sur le trottoir et referma derrière lui. Il poussa un lourd soupir. Cela aurait pu être pire.

Il se mit en marche, direction la banque, pour obtenir des liquidités. De quoi vivre en attendant son premier salaire. Et puis ils reviendraient régulièrement à Anvers. Il reverrait sa famille, quand ils auraient eu tout le temps de se calmer. En attendant, une vie d'aventure et de monotonie l'attendait. Et surtout, un beau capitaine qu'il retrouva sur les quais, assis sur un muret, sous un réverbère...

*

* *

À la suite de la livraison d'un vase mystérieux à l'université d'Anvers, Théophraste et son capitaine furent invités à une démonstration à l'Académie des Sciences. Les universitaires se pressaient sur les bancs de l'auditorium. Ils parlaient de choses que les deux aérostiers ne comprenaient pas. Deux hommes montèrent sur l'estrade avec le fameux vase, le posant sur une table où se trouvaient déjà des béchers, des fioles et tout un tas de verreries étranges.

— Messieurs, vous allez assister à une expérience inédite grâce à nos confrères Polonais qui ont mis au point l'azote liquide. L'azote devient liquide à une température de -196°C, et voyez ce qu'il se passe lorsqu'on le verse sur de l'eau chaude...

Théophraste se demandait ce qu'il faisait là. Mais lorsqu'une brume blanche s'éleva de la fiole, il trouva cela stupéfiant.

— On dirait un nuage, murmura-t-il à son capitaine.

— Il s'élève amas de gouttelettes d'eau en condensation, exactement comme les nuages dans le ciel, confirma le savant. Nous appelons cela de l'azote liquide. Cet élément est à l'état liquide à – 196°C, il bouillonne même ! Il s'évapore donc à température ambiante.

Théophraste trouvait cela fantastique.

— Peut-on en faire des crèmes glacées ?

Le scientifique à côté de lui lui jeta un regard noir. Trop trivial pour lui.

— Viens, on en a vu assez, décréta le capitaine. Retournons au ballon.

Ils se levèrent et quittèrent l'amphithéâtre alors que le savant se lançait dans des explications qu'ils étaient incapables de comprendre.

A bord du LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant