Voir Paris - 2

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 Aloysia avait ses habitudes dans toutes les stations aéroportuaires. Théophraste la suivit mais n'eut rien à faire à part la suivre sagement. Certains hôtels et pensions étaient complètes, mais quelques sourires plus tard, la charmante quinquagénaire leur obtint trois chambres en pleine période des fêtes. Ils y posèrent les bagages. Lorsqu'ils sortirent de l'établissement, la nuit était tombée. Ils furent de retour au ballon pour voir les élévateurs remplacer les escabeaux et soulever lentement l'immense dirigeable à un mètre du sol. La coque d'acier trembla avant de se stabiliser. Les machines se mirent en branle et le ballon avança tranquillement comme s'il ne pesait rien.

— Époustouflant, n'est-ce pas ? commenta le capitaine en apparaissant subitement à leurs côtés.

— Tu as déjà vu ça ? lui demanda Théophraste.

— Oui, mais pas sur mon propre dirigeable. Vous avez trouvé de quoi nous loger ?

— C'est fait, confirma Aloysia.

Le jeune homme s'appuya contre l'épaule du capitaine et ils échangèrent un regard. Il y vit combien il était inquiet.

— La cargaison sera déchargée et transférée demain matin. J'ai trouvé un compatriote pour la convoyer à bon port, annonça-t-il. Jan pense qu'il faudra trois jours pour avoir la pièce, la monter et relancer toute la machinerie.

— Nous passerons donc Noël à Paris, en conclut Aloysia.

— Tu peux rentrer à Anvers si tu le souhaites, lui répondit-il. Tu avais peut-être prévu quelque chose ?

— Non, je reste. Et toi Théo ? Tu ne voulais pas passer les fêtes avec ta famille ?

— Je ne pense pas être attendu. Je vais tout de même envoyer un télégramme. Si vous n'avez pas besoin de moi...

Il s'éclipsa. Il avait vu le bureau des postes et télégraphe en sortant de la rotonde. Envoyer un bref message à ses parents ne lui prit que quelques minutes mais, entre temps, la pluie s'était mise à tomber. Ils avaient eu de la chance jusqu'ici de ne pas se faire tremper. Relevant son col pour s'en protéger, il se hâta de retrouver les autres, abrité sous le auvent d'un bistrot.

En approchant, il vit un homme, en grande conversation avec la capitaine. Un grand blond à la tenue aristocratique, dans la fin de la quarantaine. Le port altier, la mèche formant vaguelette sur le front, la redingote passementée de fil d'or. Il posa la main sur l'épaule du pilote et se pencha un peu plus pour lui parler à l'oreille. Théophraste ressentit alors un désagréable sentiment de jalousie. Plus il approchait et plus il avait l'impression qu'il faisait du charme à son amant. Ils étaient même plus qu'amants, ils étaient amoureux. Il se planta devant eux et tendit la main à l'inconnu :

— Bonsoir monsieur. Théophraste, second sur le Wolnosc.

L'aristocrate le toisa de bas en haut.

— Le nouveau second ? Laurent est donc parti ? N'est-il pas un peu jeune pour toi ? demanda-t-il au capitaine sans lui serrer la main.

Pour qui se prenait-il ? Il toucha le bras du capitaine d'une manière possessive, le revendiquant.

— Un peu jeune, mais très mignon, Mariusz. J'ai toujours dit que tu avais bon goût ! éclata-t-il de rire.

Théophraste le trouvait de plus en plus énervant. Et pire, son capitaine ne disait rien. Et puis ce rire ! Celui d'un ex-partenaire à coup sûr. Il ne les imaginait pas ensemble, le blond si... si... arrogant, et superficiel, alors que le pilote était si profond, et si différent !

— Aristide, s'il te plaît, ne te montre pas jaloux, lâcha-t-il enfin. Nous deux, c'est du passé.

— La faute à qui ?

Le capitaine du Wolosc leva les yeux au ciel, lassé du petit jeu de son ancien amant. C'était toujours comme ça, il prenait ombrage dès qu'un homme plus jeune faisait partie de l'équipage. Il lui avait servi le même cirque avec Laurent, bien qu'ils n'eussent jamais eu la moindre relation intime.

— J'ai été ravi d'avoir de tes nouvelles, Aristide, mais maintenant que Théo est revenu, nous allons pouvoir dîner. La journée a été riche en émotions.

— Pourquoi tu ne m'inviterais pas ? En souvenir du bon vieux temps.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, répondit-il d'un ton ferme.

Son interlocuteur tenta de l'amadouer d'un regard implorant tout en touchant l'autre bras, mais le capitaine s'écarta d'un geste agacé.

— Ari, ça suffit.

L'autre prit une moue boudeuse.

— Cela ne marche plus, j'ai assez subi tes sautes d'humeur et tes chantages. Et nous n'allons pas faire une scène en public. Aloysia, tu connais un endroit où nous trouverons un repas chaud ?

— Oui.

— Laisse-moi venir avec vous, insista l'aristocrate. De toute façon, je vous suivrai.

— Tu as passé l'âge de faire des caprices. Rentre chez toi retrouver ton épouse et tes enfants, Ari, c'est le mieux pour toi.

— Tu ne sais pas ce qui est le mieux pour moi.

Le capitaine soupira.

— Allez-y, dit-il à son équipage, je vous rejoins.

Jan, Sabine et Aloysia commencèrent à s'éloigner mais Théophraste rechignait à partir.

— S'il te plaît. J'arrive.

Il renonça et suivit les autres, non sans un regard en arrière.  

A bord du LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant