Bienvenue à bord - 11

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L'après-midi était bien entamée lorsque Théophraste émergea du sommeil. Son capitaine le regardait et lui sourit. Tendant l'index, il lui caressa l'arête du nez puis les lèvres.

— Bonjour.

— Bonjour. Quelle heure est-il ?

— La bonne heure pour un déjeuner tardif, si tu as faim. Ou pour autre chose...

Théophraste baissa les yeux et sourit. Oh, pour ça, il était toujours partant. Cette proposition à peine voilée le mettait déjà en émoi. Il frémit lorsque le capitaine posa sa large main sur sa hanche. Il se tendit à la rencontre de ses lèvres, s'arrêtant au dernier instant, par crainte d'avoir mauvaise haleine. Il plaqua une main sur sa bouche.

— Qu'y a-t-il ?

— Je ne suis peut-être pas très... frais.

Le capitaine éclata de rire.

— Si tu y tiens, il y a une salle d'eau et des commodités au bout du couloir.

Enfilant la chemise trop grande et son caleçon, il quitta la chambre avec précipitation.

Il revint, plus assuré, après ses ablutions, et se glissa dans le lit. Le capitaine l'attira plus près et passa la main dans ses cheveux. Il ne s'était pas émerveillé ainsi pour un homme depuis longtemps. Il chassa l'idée que Théophraste était peut-être trop jeune. S'il l'avait dépucelé, il n'avait sans doute pas connu beaucoup d'hommes. Cela obscurcissait peut-être son jugement lorsqu'il lui disait vouloir rester à bord.

— Qu'y a-t-il ? s'enquit-il. Pourquoi êtes-vous si songeur ?

— Rien, nous aurons le temps d'en parler plus tard.

Le baiser qui suivit transporta Théophraste. Son capitaine était exactement comme il le fantasmait : tantôt rude et autoritaire, tantôt doux et attentionné. Le jeune homme s'abandonna entre ses bras, quémandant les caresses comme un jeune chat. Il tressaillit lorsque les grandes mains rugueuses du capitaine atteignirent ses reins.

— Me veux-tu en toi, Théo ?

Théo... finis les « Théophraste » et les « mon jeune ami ». Cette proximité lui plut. Il hocha la tête.

— Alors rends-moi dur.

Le novice s'empara de la verge prisonnière entre leurs ventres. Le capitaine se frotta dans sa paume avant de le laisser faire. Embrassant son amant dans le cou, il mouilla un doigt et en massa l'entrée sensible. Aucune gêne cette fois-ci, il put l'introduire sans peine. Son amant ronronna à son oreille. Lorsqu'il enfouit son visage entre les globes charnus de ses fesses, il apprécia qu'il ait pris le temps d'une toilette rapide. Il se délecta de la chair tendre et de chaque réaction de son amant. Rien que son souffle sur les poils follets de son postérieur le faisait gigoter.

Anvers avait été la première nuit, impulsive. Syracuse, bercée par la pluie, avait été plus romantique. Cracovie serait la nuit de la passion et de l'union. À partir de maintenant, ils seraient ensemble, sur terre et dans le ciel.

Théophraste le sut lorsque son beau capitaine s'enfouit doucement en lui. Il s'accrocha à son cou et suivit le rythme qu'il imprimait à son corps. Il s'arqua sous les assauts. Leurs baisers avaient le goût salé de la sueur qui perlaient sur leurs visages. La petite chambre fut bientôt saturée d'odeurs, du bruit de leurs corps se heurtant avec des sons humides, et des grincements du sommier.

Ils s'écroulèrent, haletant. Théophraste posa sa joue sur la poitrine de son capitaine, qui passa un bras autour de ses épaules. Il n'aurait jamais cru tomber amoureux si vite. Il ne voulait être ailleurs pour rien au monde. Il voulait encore savourer les séquelles de l'extase en écoutant battre le cœur de son capitaine. Il se sentait libre de l'aimer. Libéré des entraves dans lesquelles il avait grandi. Un homme trouve une bonne situation afin de subvenir aux besoins d'une épouse qu'il prendra le plus tôt possible, et d'une famille qu'il voudra nombreuse. Un homme bien n'était pas un aventurier qui répandait sa semence dans la main d'un autre homme et voyageait en aéronef. Sa mère se signait quand un ballon passait au-dessus d'elle, comme si c'était une manifestation du Diable ! À voir son capitaine somnolant, Théophraste n'y voyait rien de mal pourtant. Le capitaine avait donné leur chance à des gens en marge de la société, à des femmes, alors qu'il y en avait encore peu dans les flottes aériennes. C'était quelqu'un de bien, et de seul aussi.

Théophraste s'était toujours demandé comment serait sa vie quand il aurait fait comprendre à sa famille qu'épousailles et marmots n'étaient pas pour lui. Il aurait sûrement été seul lui aussi. Ses amis se seraient mariés et ne seraient plus sortis alors qu'il aurait continué à écumer les vapo-bars et à assouvir ses désirs interdits dans les bras d'autres hommes perdus comme lui. Il comprenait la solitude de son capitaine.

Le soleil se couchait lorsqu'ils sortirent dîner. Dernier repas au sol avant un trajet direct vers Anvers. Ils parlèrent des détails pratiques. Théophraste savait qu'il ne pourrait pas remettre de sitôt les pieds dans la demeure familiale, il devrait emporter tout ce dont il aurait besoin pour vivre à bord, sans trop s'encombrer non plus. Il devrait surtout emporter son pécule.

— Tu toucheras ta part des courses, toi aussi. Tu seras payé comme un apprenti puis comme mon second au départ de Laurent.

Bien sûr, Théophraste partagerait sa cabine, pas le dortoir. Leur relation serait donc très officielle.

Pour rentrer au ballon, ils empruntèrent ces calèches motorisées, ces voitures qui avaient mis les chevaux et bon nombre de cochers à la retraite. Ça bringuebalait sur les pavés de la vieille ville. Le conducteur les déposa à l'entrée de la station aéroportuaire, craignant d'aller plus loin. Les quais avaient toujours mauvaise réputation.

Comme le premier soir, le capitaine lui prit la main et le guida jusqu'à son vaisseau. Ils gravirent la passerelle, franchirent l'écoutille et se réfugièrent dans la cabine.

— Nous serons réveillés avant l'aube, annonça-t-il. Nous devrions dormir.

De toute façon, Théophraste n'était pas sûr d'encaisser un autre assaut. Il était tout courbaturé du précédent. Il se dévêtit et se coucha. Le lendemain soir, ils seraient à Anvers.

Au petit matin, Aloysia arriva au ballon avec un scientifique qui portait un drôle de vase. Il les paya pour convoyer le bidon jusqu'à un scientifique d'Anvers. La bonbonne contenait un gaz sous forme liquide capable de geler n'importe quoi quasi instantanément. Il leur recommanda plusieurs fois de ne pas ouvrir le vase. Personne n'avait voulu transporter cette invention d'universitaires polonais. Le capitaine s'assura qu'il n'y avait aucun risque pour son équipage et son ballon avant d'accepter la somme importante qu'on lui proposait. Il entreposa lui-même la bonbonne dans un compartiment ou ne passait aucune canalisation, au cas où, et la cala soigneusement sous le regard attentif du savant. Aloysia promit de le remettre en main propre à son destinataire. À ce prix-là, elle voulait bien le faire.

Le capitaine ordonna le départ.

Théophraste, sur la passerelle, un bonbon à la menthe dans la bouche, regarda le sol s'éloigner. Anvers. Là-bas, sa vie allait prendre un autre tour. 

A bord du LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant