Bienvenue à bord - 9

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Théophraste se sentait amoureux. Son beau capitaine orchestrait le départ pour Cracovie, en Pologne, il était donc seul dans la cabine à se préparer. Le pilote lui avait dit de prendre une chemise propre dans la malle au pied du lit. La sienne commençait à sentir. Sauf qu'il y avait un petit problème de gabarit. Il fit son possible pour la rentrer dans son pantalon et retroussa les manches. Il allait ressembler à un petit garçon ayant volé les vêtements de son père.

Tranquillement, il gagna la passerelle. Les machinistes étaient déjà à leurs postes mais il manquait encore Aloysia et Laurent. Théophraste se blottit contre le dos du capitaine. Celui-ci lui attrapa la main.

— Souhaiterais-tu rester parmi nous, après notre retour à Anvers ?

Pour être avec lui, oui, songea le jeune uraniste. Mais il se sentait toujours de trop parmi l'équipage.

— Je ne sais pas, je n'ai pas ma place ici. Je ne sais rien faire.

— Oh, je ne dirais pas cela, répliqua le capitaine avec malice. En fait, j'ai besoin d'un nouveau second. Laurent s'est marié cet hiver, il sera père dans quelques mois et il préférerait des vols plus courts. Une place l'attend sur les voies intérieures et transfrontalières. Je peux t'apprendre, comme je l'ai fait avec lui.

Théophraste ressentit une pointe de jalousie à l'idée que Laurent aurait pu, lui aussi, partager la couche du capitaine, avant de se ressaisir. Non, Laurent s'était marié, il ne partageait pas leur goût pour les hommes.

— Est-ce que vous voulez réellement de moi ?

— Oui, mon jeune ami, je veux de toi.

Théophraste saisit le double sens de ses paroles. Il appuya son front contre les omoplates du capitaine. Devenir son second... Faire quelque chose de sa vie. Ses parents ne seraient pas ravis d'apprendre la nouvelle, loin s'en faut, à moins que le fait qu'il cesse de fréquenter les vapo-bars ne surpasse le reste. Cependant, il resterait un aventurier et dans son milieu, l'aventure était réservée aux excentriques. Pour l'instant, il n'était qu'un enfant oisif et on attendait que cela lui passe. Puis il aurait une bonne situation dans l'administration municipale, prendrait épouse et son cas serait réglé. Rien qu'à y penser, c'était d'un ennui mortel ! S'échiner dans un bureau avec d'autres fonctionnaires poussiéreux comme son frère, qui avait à peine trente ans pourtant, pour retrouver le soir venu épouse et marmots... L'idée le fit frémir. Devenir co-pilote était bien plus excitant.

— Je ne veux pas finir dans un bureau, reprit Théophraste. Je veux rester.

— Voilà une décision mûrement réfléchie ! rit le capitaine. Essaierais-tu de fuir un destin tout tracé ?

— Mon frère travaille déjà dans les bureaux de la ville, comme mon père, mes oncles et mon grand-père. Cela a fait notre fortune, mais cela me semble aussi bien monotone. Je ne veux pas de cette vie, elle n'est pas faite pour moi. Je ne sais pas ce que je veux, mais je veux autre chose que cela.

Le capitaine se retourna.

— Alors bienvenue à bord, mon cher ami !

Et il scella cet engagement d'un long et profond baiser.

Des voix les ramenèrent sur terre. Laurent et Aloysia étaient enfin de retour.

— On est là capitaine, on peut y aller ! s'exclama-t-elle.

— Tu crois vraiment qu'il t'attendait, toi ? Il n'a d'yeux que pour Théo, répliqua Laurent en chuchotant. Je t'ai déjà dit que tu ne l'intéressais pas. Tu n'es là que pour acheter, vendre et faire la cuisine.

— Hé, c'est moi qui fais tourner le commerce !

— Si vous croyez que je ne vous entends pas, c'est raté ! les apostropha le capitaine. À vos postes, nous allons décoller.

Laurent invita Théophraste à se placer près de lui et lui expliqua toute la manœuvre. Avait-il compris que le capitaine lui donnerait sa place à son départ ? Il sut enfin à quoi servaient les manettes et les cadrans. 

A bord du LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant