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POINT DE VUE DANIA

Lorsque ma mère avait fait irruption dans la pièce pour me demander ce qu'il se passait, j'ai bien cru que j'étais fichue.

- Je suis en train de cuisiner, on peut en parler ensemble en même temps ma chérie.

J'avais acquiescé sans réfléchir et la suivie jusqu'à la cuisine où elle nous préparait sa fameuse ratatouille dont elle seule avait le secret. L'odeur qui se dégageait de la casserole me mettait l'eau à la bouche.

Elle me fit signe de m'asseoir devant le plan de travail et j'obéis. Elle commença à parler tandis qu'elle coupait les courgettes. Le couteau aiguisé dans les mains frêles et pâles de ma mère contrastait de manière saisissante.

- Est-ce que quelque chose te tracasse ? Demanda t-elle tranquillement

Je me dandinais dans mon siège, à la recherche d'une excuse qui ne compromettrait ni lui, ni moi. Les meilleurs mensonges sont ceux qui se rapprochent le plus de la réalité. Une stupide citation que j'espérais pourtant à cet instant être vraie. En lui expliquant que Mason souhaitait aller à une soirée à laquelle je ne voulais pas me rendre; je ne pouvais pas me rapprocher plus de la réalité.

- Eh bien Mason semble être un gentil garçon, il voudrait peut-être passer un peu plus de temps avec toi dans un cadre autre que ceux habituels. Sinon il n'aurait pas pris la peine de t'inviter, tu ne crois pas ?

Si elle savait pour notre petit arrangement, son point de vue serait bien différent.

Contrairement à d'autres jeunes de mon âge, les fêtes n'étaient pas ce que je préférais. Quelques bons amis, du pop-corn et un film était, de loin, une meilleure perspective.

Mais ma mère avait vite tranchée la question. Sortir ne pouvait me faire que du bien selon ses dires. En dehors de ce petit cocon dans lequel j'évoluais, je devais m'amuser et rencontrer des gens. La jeunesse est éphémère, je devais en profiter. Ses arguments n'étaient pas entièrement faux et me fis réfléchir plus sérieusement que je ne l'aurais cru. Est-ce que m'enfermer dans une bulle était aussi bien que je semblais le croire?

De là où je me trouvais, je faisais face à son dos mais ses mains étaient dans mon champs de vision. Je me levais pour la rejoindre. Sa main qui supportait le couteau tremblait et maman peinait à le tenir fermement.

- Attends je vais t'aider lui annonçais-je doucement

Son sourire d'excuse quand je lui pris l'ustensile des mains, me donna un pincement au cœur. Elle se sentit obligée de dire qu'elle allait bien, qu'elle était simplement fatiguée. J'hochais docilement la tête alors que ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait. Elle se voilait la face au moins autant que moi. Aucune de nous ne se sentait capable d'accepter la vérité.

- Tu es jeune, vis pleinement ta vie pour ne rien regretter plus tard. D'accord ? Sa voix était chargée d'émotions et de sous-entendus.

S'il y avait une chose que je détestais autant que mentir était de contre-dire mes parents. C'est pourquoi j'avais fini par accepter.

- Je vais y aller, lui informais-je.

Son sourire, en réponse, me conforta dans l'idée que je devais m'y rendre ; Je ne manquerai pas une occasion de pouvoir lui faire plaisir. Mais je me demandais quand son état allait encore se dégrader.

*****

Une nuit s'était écoulée et à nouveau le réveil sonnait. À nouveau les rideaux s'ouvraient et je me préparais. À nouveau Mason vint me chercher et me déposa au lycée. Lors du trajet, personne n'avait ouvert la bouche. Il devait se dire que c'était mieux s'il la fermait pour me mettre plus tard dans sa poche. À part ça, rien ne changea ma routine. Ma vie était un long fleuve tranquille dans lequel je me laissait porter.

Lorsque j'arrivais pour mon premier cours, Sam me rejoignit. Elle était mon amie d'enfance, celle avec qui je partageais tout. Elle savait d'ailleurs pour Mason et moi. Nous avions le même avis à son propos. Nous n'étions pas dupes, ce mec était un aimant à problème.

- Il m'a demandé de l'accompagner demain à une soirée.

- Et tu lui a répondu... demanda t-elle curieusement. J'espère que tu l'as envoyé balader ce type.

J'émis un gloussement avant de répondre que j'aurais adorée. Elle m'a souri en retour. Nous n'étions pas amies pour rien.

- Seulement j'ai dit à ma mère que j'irai. Je dois lui donner ma réponse aujourd'hui.

- Je vois.

- Ça te dirait de me tenir compagnie ? J'avais l'impression de la supplier de venir en posant la question.

- Ça aurait été cool de t'accompagner mais mes parents ont prévus d'inviter mes grands-parents à dîner expliqua t-elle avec regret. Je me vois mal annuler un évènement prévue depuis trois mois pour une fête de dernière minute. Je suis tellement désolé !

Fichue. Ma seule chance de ne pas passer une soirée nulle venait d'être réduite à néant.

*****

Lorsque j'avais annoncé la « bonne » nouvelle à Mason et qu'il a eut ce sourire prétentieux du jesavaisquellemécouteraisparcequejaitropdecharisme, j'ai crû, idiote que j'étais, que ma journée ne pouvait pas être pire. Je me trompais. Quoi de mieux qu'une altercation dans son propre camps ?

L'heure du dîner sonna, tout le monde se rassembla autour de la table. Chacun y avait sa place attitrée, désignant le rôle que nous occupions. Le chef en bout de table, sa femme à sa gauche, moi à côté de ma mère, et mon frère à sa droite. En plus de vivre dans une maison où l'homme prenait les décisions, mon père avait de grandes ambitions pour nous. Nos avenirs devaient être, à son image, des réussites. Pour ma part, je rêvais d'être cardiologue. Mon père, très fière de moi, répétait sans cesse « enfin un médecin dans la famille ! » à qui voulait bien l'entendre. Quand à Keith, il était en pleine recherche sur lui-même, à se trouver une identité.

On nous demande de trouver notre voie de plus en plus jeune et mon frère, d'un an mon cadet, faisait partie de cette grande majorité d'enfants à ne pas savoir quoi faire de leur avenir. Ce choix si déterminant qu'on nous imposait en perturbait plus d'un. Comment leur demander ce qu'ils seront plus tard quand, en pleine crise d'adolescence, ils se demande encore qui ils sont ?

Je le comprenais mais pas mon père et cela créeait de nombreuses tensions à la maison . Keith, plutôt que de parler, préférait nous rejeter tous. Particulièrement moi qui était celle qui avait réussie à se trouver.

Ce soir se fut mon père qui lança les hostilités.

- Keith comment s'est passé ton rendez-vous avec la conseillère d'orientation ?

Mon père faisait son possible pour l'aider dans sa recherche, avec des conseillers et un psy. Il l'avait même, une fois, emmené à son entreprise pour qu'il puisse voir son métier de plus près. Jusqu'à là rien ne fonctionnait et Keith devait suivre un psychologue. Comme si son problème méritait de consulter.

Devant le mutisme de son fils, il répéta sa question.

- Je n'y suis pas allé, dit-il les bras croisés sur le torse.

Mon père lâcha ses couverts tandis qu'il se levait brusquement.

- Pardon ? Sa question cachait mal son indignation. Je ne t'ai pas élevé pour que tu es le mépris d'aller à l'encontre de mes décisions ! J'ai pris ce rendez-vous il y a déjà plusieurs mois! Ses résultats sont excellents et elle est très demandée ! Comment oses-tu ?

Ma mère posa la main sur le bras de son mari pour le calmer. Il se rassit et je croyais que nous en avions terminé pour ce soir quand mon père souffla sans discrétion un « pourquoi n'est-il pas comme sa sœur... ». Cette fois, ce fut mon frère qui se leva et qui hurla sa rage :

- Désolé de ne pas être l'enfant dont tu rêvais, de ne pas être comme Dania ! La miss parfaite si ennuyeuse qui n'a aucun caractère et qui te lèches les bottes !

Il se tourna vers moi pour en rajouter :

- Tu ne deviendras jamais médecin. Je TE déteste et j'espère de tout cœur qu'il t'arrivera malheur ! 

Le Sourire de TropOù les histoires vivent. Découvrez maintenant