J'ai
·
Je suis
Encore perdu
Entre l'Amer
Et la Merveille.
La nuit se lève.
Je mange une fois par jour, mais c'est parce que je bouge peu et que la boule au ventre ne me quitte pas. Au début, elle avait un parfum de liberté, j'y ai cru. J'ai cru aussi qu'elle finirait pas se dénouer, lasse. Mais rien, en ces temps, ne lasse. Les rêves disparaissent au réveil ; j'allume l'écran parce que la première pensée, toujours la même, les a déjà chassés. Les nuits sont folles et sages, les matins griffent les paupières. Trop de larmes pressées derrière, tristesse ou joie, c'est égal, elles se bousculent pour un rien, je les sens rouler sous ma peau qui se couvre de frissons ; elle finira par percer tant elle est devenue fine
Fleur
Je ne veux pas que cela s'arrête.
Ruby et Constantin m'accompagnent toutes les nuits. Elle et moi nous donnons rendez-vous pour danser sur une vidéo dénichée dans la journée. C'est notre lien, un petit au-delà. Lui et moi regardons un film en même temps. Nos émotions éclosent et s'abreuvent aux mots ivres que nous écrivons, haut, sans pudeur, nous sommes loin, qu'est-ce que ça peut faire ? Le temps s'arrête, n'y pensons plus, à la pudeur. A la prudence. Je ne les aurais pas connus si intensément sans ces jours étranges.
Toute la nuit : musique. Des images de filles en patins, de concerts bleu électrique, de ciels pourpres, diffusées sur mon mur blanc. Je suis immergé dans cette évidence :l'art, universel et lointain. Entre nous : ma place et ce qu'il faudrait réparer. C'est incurable parce que cela n'existe que dans la distance, mais au moins c'est vrai, parce que c'est imaginaire.
Ruby dit qu'on vit notre meilleure vie, à quel prix ? Je ne suis jamais seul sauf parfois quand je suis entouré de gens.
C'est le silence, dehors. J'ai jeté trois pincées de plantes – sauge, verveine, romarin – dans l'eau chaude de ma tasse arlequin. Le voisin est encore de l'autre côté, funambule nocturne des fils électriques. Je ne l'avais jamais vu et, ces dernières nuits, je vois toujours son ombre aux fenêtres, passer d'une pièce à l'autre dans la nuit, dans ses lumières de toutes les couleurs, une par pièce, on dirait un décor.
Il me rejoint sur son balcon dès que je sors et nous ne disons rien, nous ne révélons même pas que nous nous regardons.
Le vide de la rue vide, entre nous.
S'il y a un moment pour vivre l'instant, je crois que nous y sommes. Et la nuit durera longtemps.
&
En réponse à l'appel à projets de Lilas Seewald
Peut-être y aura-t-il une suite.
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Arlequin
RandomFonds de tiroirs, pages déchirées, lambeaux de journaux, pensées en fugue, Guirlandes Un patchwork de pièces usées et lointaines Un carnaval décousu Un manteau d'Arlequin Couverture : Akiya Kageichi