Disintegration (lettre)

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J'ai ouvert une autre de tes histoires.

Il fallait se confronter, ça m'a demandé un courage immense et donc ridicule, j'avais envie de le dire à quelqu'un et je n'ai personne à qui le dire, je n'oserai jamais t'envoyer cette lettre et personne n'a jamais su ce qui était arrivé

Ça fait un an que je sombre dans le vertige : le souvenir des mots lus et l'appréhension de ceux que je n'ose même plus ouvrir. Je perds la tête, dans tous les sens. C'est ce que me font les gens comme toi, les héro·ïnes, mais ne crois pas que j'en aie connu beaucoup.

Ça fait un an que je perds pied dans ce vertige, j'ai hurlé dedans comme dans un trou noir. Il n'y a jamais d'écho, il n'y a jamais de retour.

Le jour est venu, non décidé, de me confronter, d'éprouver ta réalité, chercher tes failles, aussi, et même surtout. Je les ai vues déjà pourtant, il y a un an : les longueurs, les maladresses mais trois mots bien alignés et je m'incline, écrasé, submergé par le récit trop lucide et juste d'une blessure si intimement partagée que je doute parfois que tu ne sois pas un miroir,

J'ai même cru que tu n'existais pas, mais je suis incapable de t'avoir inventé·e.

Je crois que c'est de toi que tu parles quand tu mets en scène des artistes imprenables, je crois que tu te flattes quand tes personnages portent tes propres paroles aux nues. Je crois que tu t'inventes et peut-être que tu ne seras pas d'accord, ce n'est pas grave, c'est juste une croyance.

Un an. Même, un peu plus. Neuf mois d'anorexie deux mois en rémission, et c'est revenu, ça revient tout le temps, ce n'est pas toi, je ne m'en sors pas, c'est tout. Les héro·ïnes me déséquilibrent en me poussant dans mes retranchements.

Parce que la vérité que tu dis dans tes histoires m'a trop blessé·e, j'ai cherché à me voir, cherché ce qui me ressemblait, ce qui expliquerait

C'est moi qui ai fait ça, tu n'es pas responsable, tout au plus, tu l'as

Réveillé sans le révéler

Cela dormait, j'ai tracé le dessin des constellations, vu la réponse s'illuminer dans les profondeurs.

Ma personne complètement fêlée s'est reconstruite dans le miroir que tu tendais, comme elle l'avait fait avec les autres. Toi aussi, tu m'as appris à dire "moi aussi".

Mais cette fois, je dois cela à quelqu'un qui ne s'est jamais intéressé à moi. M'offrir de toute mon âme à quelqu'un qui me brise le cœur, je sais faire, ça se voit non ? C'est sur ton indifférence que je me suis brisé·e avec violence. J'ai fini par tout effacer à mesure que je te parlais et que tu ne me voyais pas. Tu m'as coupé la parole. J'ai la gorge cisaillée, rien ne passe, tu y crois ? Je ne parle plus, je doute d'exister. J'ai vu les longueurs dans tes histoires et pourtant je continue d'admirer ta prolixité, moi qui taille à n'en plus pouvoir, qui tente d'arriver à l'échine brisée des paroles. Toi, tu existes.
Je te vois.

Je voulais n'être reconnu·e que de toi, cela m'aurait suffi.
J'ai besoin de couper, respirer, retrouver mes contours et cela devra se faire sans que tu ne me reconnaisses jamais.

Ce jour venu, non choisi, j'ai besoin de me mettre à l'épreuve, éprouver ma réalité

Lire une autre de tes histoires

Peut-être, parviendrai-je à t'adresser un énième « moi aussi », sans écho.

J'aurai appris à dire, à reconnaître :

Moi.

ArlequinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant