Magpie (nouvelle)

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Ma mère m'a donné l'alliance de mon père. Il est toujours vivant, ils ne sont pas divorcés mais aucun des deux n'a supporté de porter un anneau. Elle me rappelle cette nouvelle rédigée lors d'un atelier d'écriture, il a huit ans. Il fallait inventer une histoire d'amour insolite à partir des amorces de paragraphes, et j'ai pensé à cette chanson de Patrick Wolf : "Magpie, was it you who stole the wedding ring ?" (Pie, est-ce toi qui as volé l'alliance ?)



Toi, je t'aimais, je t'aimais, je t'aimais. Dans ce nouveau jardin à l'aube, ma porteuse se promenait et je m'ennuyais à mourir. Toi, je t'aimais qui as illuminé tout à coup ce coin de terre, avec ton habit de gala si élégant, aux reflets bleus, ombre exquise. J'aimai ton cri, ton rire de guerre et parce qu'elle l'a détesté, je t'ai aimé davantage. Je t'ai reflétée et l'or de ma robe t'a fait chanter de plus belle. J'en aurais rougi.

Après, j'ai tout aimé. J'ai aimé t'attendre quand elle discutait avec les voisins. J'ai aimé te surprendre en t'expédiant des rayons de soleil. J'ai aimé jouer du violon, Rossini, j'ai pris ça pour un signe, et quand sa veine battait sur moi, j'ai pris ça pour le battement de mon propre coeur. J'ai surtout aimé quand elle bricolait et qu'elle me posait sur le rebord de la fenêtre. Tu osais alors franchir le mur et venir chanter pour moi, moi, moi ! Sache que jamais je ne l'ai regardée dans les yeux, même quand elle admirait ma parure au soleil. Je n'aimais que nos rendez-vous secrets.

J'ai détesté, en même temps que je la jalousais, ton insaisissable liberté. Tu avais tes raisons de croire que j'appartenais à une autre. J'ai détesté ton regard, attiré par une goutte de rosée, une perle, une paire de ciseaux, toi l'oiseau trop volage. J'ai détesté ta lâcheté face au bulldog le jour où je suis tombée. J'ai détesté me sentir la chaîne d'un amour fantôme pendant que le nôtre s'étiolait. 

Aujourd'hui, quand j'y pense, je retrouve cet amour intact au fond de mon métal. Tout a changé. Elle s'est séparée de moi. Sa petite-fille a fait de moi un médaillon, je ne suis plus l'anneau que tu as connu. J'ai vécu trois vies, deux-cent étés et combien de générations de pies volages ? Elles vivent ce que vivent les pies, mes contemplent et m'oublient. Or je suis or et je demeure éternellement brillant, semblable à moi-même, porteur de la mémoire de ces filles qui me portent, mais aussi de toi, mon seul, unique et éphémère amour.

ArlequinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant