C'est le soir, c'est enfin le soir. Je suis seule dans mon appartement, lui, il n'est pas là. C'est aussi mon colocataire, donc je suis encore plus seule que seule...
Je me suis rendue à l'hôpital. Les médecins m'ont confirmé.
Il est mort.
C'est injuste. C'est totalement injuste. Pourquoi la vie est-elle aussi injuste ? Injuste ! INJUSTE ! Il n'y a pas d'autre mot. C'est injuste...
Je suis allongée de tout mon long sur le canapé. C'est ici qu'on a passé des soirées entières entre cap ou pas cap et action ou vérité. C'est ici qu'on s'est aidé, ici qu'on s'est esclaffés, ici qu'on a vécu, à deux, depuis quatre ans.
Depuis que j'ai pu me barrer de chez moi. Je suis partie avec lui.
Ce n'était pas un meilleur ami comme un très bon pote qu'on appelle meilleur ami parce que c'est classe. C'était un vrai meilleur ami, le meilleur de tous les amis, c'était un meilleur meilleur ami... C'était indéfinissable, c'était du fusionnel.
C'était mon âme soeur.
Je n'avais jamais été du côté amour, j'avais toujours été du côté de l'amitié. Et lui, c'était l'homme de ma vie.
Malgré ce que les gens ont pu dire, il n'y avait aucune ambiguïté dans notre relation. C'était l'amitié, l'exclusivité.
Et aujourd'hui, après des milliers, des millions d'heures passées avec lui, il n'est plus là.
Non. Plus là.
Plus jamais là. Je serai à jamais seule dans cet appartement, je serai à jamais seule dans ma vie. À tout jamais.
Putain. Je ne trouve même plus les mots.
Pour au moins la trentième fois cette soirée, je m'affaisse encore plus dans le fauteuil et je repars dans une crise de sanglots.
Avec lui, je ne pleurais jamais longtemps. Soit je pleurais parce que j'étais vraiment triste, et il était toujours là pour aussitôt arrêter mes larmes ; soit tout simplement, sa présence évaporait mes larmes.
Mais maintenant, il n'est plus là, et je me retrouve seule, à ne pas savoir arrêter mes larmes. Il est parti ! Il est parti ! Et à jamais !
Mais comment vais-je pouvoir survivre sans lui ? Est-ce que c'est possible, même ? Est-ce qu'il existe un moyen de le faire revenir ?
Non. Non, non, et non. C'est définitif. La mort, c'est un peu comme une rupture, mais là, plus aucun moyen de recontacter l'ex-ami pour essayer d'arranger la situation. Là, il y a juste moyen de se perdre, tout seul, dans l'immensité d'un cimetière, à errer en vain pour chercher la tombe de son ami...
Ex-ami, pardon.
C'est injuste, tellement injuste. Pourquoi lui ? Pourquoi pas... quelqu'un d'autre ?
Je le connaissais depuis la moitié de ma vie ! La moitié de ma vie ! Comment puis-je survivre à cela ? Je ne peux pas ! C'est aussi simple que cela... je... ne peux... pas...
Je ferme mes yeux, et essaie de trouver le sommeil. Il doit être deux ou trois heures du matin, j'ai perdu toute notion du temps. Mais en tous cas, il est temps de dormir.
J'essaie de m'abandonner au noir, comme il me disait de le faire : le noir, juste le noir... s'enfoncer encore et toujours plus dans le noir, pour trouver le sommeil.
Soudain, sa tête rieuse fait irruption dans mon esprit. Alors je m'éveille en sursaut et tombe du canapé. Une fois à terre, sur le tapis à frange, je cogne ma tête au sol, encore, encore, encore, je crie, je pleure, je sanglote, je souffle, je grogne, je serre les points, je contracte les paupières, je hurle encore et encore. C'est injuste ! La vie est injuste ! Pourquoi lui ? Mais pourquoi est-il parti ? Mais pourquoi est-il allé aussi vite sur la A52 ? POURQUOI ?
Je relâche toute mon énergie et tombe sur le côté, en position foetale. Je ferme les yeux, essuie d'un revers de manche mes larmes et noie à nouveau mes joues.
Soudain, une sonnerie retentit. Je soupire, et reste comme je suis. Rien ne pourra me faire lever, rien. Mon monde s'est écroulé, bon sang ! Mon pilier s'est brisé... On ne s'en remet pas comme ça...
La sonnerie insiste, et je fais fonctionner mon cerveau quelques secondes. Il analyse donc le son et en conclut que c'est la sonnerie de la porte d'entrée, et non de mon téléphone.
Encore mieux. Je ne me lèverai décidément pas.
La sonnerie insiste, puis j'entends quelqu'un crier :
« Mais bon sang, Gwenaël, tu vas te décider à ouvrir oui ou non ? »
Je grogne, et campe mes positions. Je ne me lèverai pas, point final !
« Gwen ! Grouille ! »
Je grogne à nouveau, puis entreprends de me lever, lentement. J'ai mal partout. Combien de temps suis-je restée sans le canapé ? Et en position foetale ? Sans doute bien plus que ce que je ne crois.
Je soupire, je souffle, j'inspire, j'expire, puis je marche à pas lents et lourds vers la porte. J'ai l'impression que mes muscles sont engourdis de partout, mais bon, je ne vais pas faire attendre le visiteur nocturne plus longtemps...
J'ouvre la porte à la volée, avec un regain d'énergie tiré de je-ne-sais-où, et fais face à... ma soeur. Mais que fait-elle là ? À cette heure-là de la nuit ?
« Bonjour, Gwenaël. Désolée, je peux entrer ? Mon copain m'a larguée hier soir, j'ai besoin de réconfort. Ouais, je sais, il est plus de quatre heures du mat', mais... Bon, écoute, je le croyais plus honnête... Alors j'ai attendu toute la journée qu'il vienne me rendre visite. Mais il n'est pas venu. Et là, ça fait vingt-quatre heures qu'il m'a quittée. Alors je viens te voir... allez, tu me fais entrer ? »
Je soupire, puis fonds en larmes sur le pas de ma porte et tombe dans les bras de ma soeur. Elle est désemparée, mais elle me repousse et chuchote :
« Raah, abuse pas, Gwen ! Je comprends que tu sois émue, mais là, c'est moi qui ai mal, et j'ai besoin de pleurer... à l'intérieur, tu veux bien ? »
Je ne sais pas comment réagir, je suis fatiguée, je suis en larmes, je viens de me prendre une raclée psychologique violente par ma soeur, alors je lui donne une grande claque. Elle recule lentement, la bouche et les yeux grands ouverts. Puis ses yeux s'emplissent de larmes et elle disparaît dans le couloir sombre.
Moi, je fais demi-tour, je referme à clé derrière moi (il n'est plus là pour me défendre...), et je m'affale à nouveau dans le canapé.
C'en est trop pour une journée. J'oublie tout, je ferme les yeux, et, tandis que j'essaye de m'endormir, son visage fait une entrée brusque dans mon esprit.
Alors j'ouvre violemment les yeux et je reste ainsi, à scruter la nuit à travers mes larmes.
Il n'est pas là pour les arrêter.
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Mon futur-ex-ancien meilleur ami
General FictionLa mort a frappé dans la vie de Gwen... Son meilleur ami (pardon, ex-meilleur ami) est parti, victime d'un accident de voiture. On lui offre une deuxième chance. Saura-t-elle bien s'en servir ? ⁛ Un appel entrant d'un inconnu. ⁛ Une nouvelle inatten...