Chapitre 1 bis

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Finalement, l'angoisse au coeur, je suis quand même allée à ma réunion. Elle est importante, et j'espère sincèrement pouvoir la suivre jusqu'au bout.

Malgré tous mes efforts, je n'arrive pas à suivre ce que disent mes collègues. Si bien que quand ils finissent par demander à ce que je fasse ma présentation, je m'excuse et je sors de la salle. Alors, je m'adosse contre un pan de mur, dans le couloir. Et je croise les doigts. Si je ne m'abuse, alors je vais bientôt recevoir un appel entrant d'un inconnu.

Mais non ! Je... j'ai bien modifié la situation, d'une manière ou d'une autre ?

Peut-être que mes nombreux appels à Vincent ont réussi à le faire changer d'avis ?

Peut-être qu'il s'est laissé convaincre, qu'il est à l'appart' en train d'appeler ma soeur ?

Peut-être que...

Je suis soudainement interrompue par mon téléphone qui sonne. J'espère un dernier instant que c'est mon meilleur ami qui m'appelle pour me dire qu'il est chez nous... Puis je décroche au numéro inconnu, me rendant compte que ce n'est pas mon ex-meilleur ami.

« Oui... Allô ?

- Bonjour. »

Je fonds en larmes en reconnaissant la voix de l'homme qui m'avait appelé il y a deux mois... aujourd'hui-même.

« Ça va, de l'autre côté du combiné ? » j'entends.

Je souffle, puis inspire et me lance dans une tirade :

« Laissez-moi deviner, monsieur. Vous avez assisté à un accident, derrière une voiture qui roulait vite et qui allait sortir à la sortie 18 de la A52. Puis cette voiture s'est crashée sur le triangle de sécurité entre la sortie et l'autoroute, car elle a tourné au dernier moment. Vous vous êtes garés, vous avez appelé les pompiers qui sont arrivés plutôt dix minutes après. Sans doute pour le réanimer. Puis vous, vous êtes allés voir dans la voiture. Vous avez trouvé une veste sur le siège passager. Dedans, vous avez trouvé un papier avec mon numéro de téléphone, et ses papiers d'identité. Et voilà. Il s'appelait Vincent, c'est mon ex-meilleur ami. Il est mort. »

Un long silence s'ensuit à l'autre bout du fil. Puis l'homme, indécis, demande :

« Oui, c'est exact... mais... comment... ?

- Vous n'allez pas me croire, mais j'ai fait un voyage dans le temps pour empêcher sa mort. Et maintenant, il est mort pour la deuxième fois.

- ...

- Vous ne me croyez pas, pas vrai ? Et bien tant pis. Déguerpissez, monsieur. Je ne vous remercie pas d'avoir appelé. Au revoir. »

Puis je raccroche et m'affale immédiatement au sol. Je repars dans une série infinie de sanglots incontrôlés.

Je n'ai même pas été foutue d'empêcher cela ! Une dame m'a accordé sa confiance pour aller sauver mon meilleur ami, et je l'ai tué ! C'est de ma faute, c'est entièrement de ma faute ! En l'appelant et en insistant, je n'ai fait que conforter son choix qu'il devait aller voir sa soeur ! Je suis une incapable !

J'ai tué mon ex-meilleur ami !

Je me lève telle une furie et me dirige vers le parking. Je claque toutes les portes sur mon passage, et manque, je pense, de briser la vitre d'une porte-fenêtre. Puis je me mets à courir vers ma voiture, à toute vitesse. J'entre dedans aussi vite, et je mets le contact encore plus vite. Je démarre au quart de tour et n'attache ma ceinture qu'une fois la voiture à vitesse constante.

Je suis vraiment une incapable. Ma seule mission, ma putain d'seule mission, c'était de sauver la vie de mon meilleur ami ! Pas d'aller en réunion ! J'aurais dû rester chez moi aujourd'hui, rester avec lui, le raisonner, le retenir de partir de force s'il le fallait !

Mais non, je lui ai fait confiance, et je suis partie à cette réunion !

Je l'ai tué !

Je l'ai tué !

Je suis une tueuse...

Je ne mérite même pas de vivre...

Je m'engage sur la A52, à pleine vitesse, et approche de plus en plus de la sortie 18. J'essaie de vider mon esprit de toute culpabilité, mais je ne sais pas m'arrêter de pleurer.

Cette fois, je sais que ce n'est pas un canular. Malgré la bonne humeur constante de Vincent, cette fois, j'en suis sûre, il n'est pas chez nous à se foutre de ma gueule. Là, il est à l'hôpital, et les urgentistes n'arrivent pas à le réanimer. Ils désespèrent.

Et moi, je me dis que j'ai tué un homme.

Évidemment, un embouteillage ne tarde pas à montrer le bout de son nez. Je soupire, crie dans ma voiture, donne des coups de poings au volant...

Devant moi, il y a une Twingo. Si je ne m'abuse, c'est exactement la même que la première fois. Et je peux dire que ce n'est pas un hasard.

Évidemment aussi, la même musique joyeuse retentit à la radio, alors je la coupe d'un mouvement violent.

Et voilà. À nouveau, au loin, je vois le camion clignotant indiquant la sortie 18.

Et voilà.

Soudain, un souvenir se fraye un chemin dans mon esprit : ce jour-là, je l'avais appelé. J'avais encore eu espoir.

Aujourd'hui, je n'ai plus aucun espoir. Je sais que je...

Sa voiture...

Crashée.

Juste devant moi.

Je.

L'ai.

Tué.

Mon futur-ex-ancien meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant