Chapitre 2 bis

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C'est le soir.

Je me sens infiniment seule...

Je l'ai tué, et je n'arrive pas à m'y faire. Autant, la première fois, je n'avais pas d'explication ; autant là, je sais très bien que c'est de ma faute. Je sais très bien que je suis une tueuse. Et je ne vais pas m'en remettre.

La première fois, j'ai pleuré jusqu'à quatre heures du matin, et après... Deux secondes... Ma soeur est venue, et elle s'est plainte que son mec l'avait quittée... Mais son mec, c'était Vincent. Et ce n'est pas qu'il ne voulait pas se faire pardonner, c'est qu'en voulant se faire pardonner, il s'est tué dans un virage...

Ma soeur, quelle traîtresse ! Elle ne m'a jamais révélé, en deux mois, que son mec, c'était mon meilleur ami ! Elle l'a gardé pour elle, pendant que j'ai haït ce mec qui avait sauvagement quitté ma soeur, et entraîné notre dispute. Alors que ce mec, c'était mon meilleur ami.

Cette fois, je m'en veux. Je lui en veux aussi, de ne pas avoir abandonné, mais, surtout, je m'en veux à moi. Mon but, ma mission était de sauver une vie. Une vie ! Et moi je suis allée au boulot comme si de rien n'était, j'ai assisté à ma réunion soit-disant importante comme si de rien n'était, alors que l'important était de sauver une vie !

Je grogne entre mes dents et je me lève péniblement. Il doit être près de onze heures du soir, mais je ne suis absolument pas prête à dormir.

J'ai envie qu'il soit là. J'ai envie qu'il revienne et qu'il me dise que j'ai pas été débile, que je rêve depuis ce matin... Que j'ai droit à une énième chance...

Mais la vie n'est pas comme ça. La vie est cruelle et injuste. Alors non, je n'ai pas le droit à une énième chance.

J'allais prendre une tranche de pain, pour ne pas mourir de faim, mais je me ravise.

Lui, il les prenait toujours grillées, ses tranches. Beurrées. Et le beurre fondait, parce que les tranches étaient chaudes. Et on se faisait des soirées entières sans nourriture à part des dizaines de tranches parfaites... Parfois, lors d'une énième séance de cap ou pas cap, il m'obligeait à manger la tranche, beurrée, et poivrée ! C'était dégoûtant, mais il se marrait toujours pendant cinq minutes après avoir vu ma tête. Alors je finissais toujours par me mettre moi aussi à rire.

Si seulement je pouvais revenir encore une fois en arrière...

Soudain, je me redresse et me mets à courir vers ma chambre. Là, j'ouvre le tiroir et tombe sur le caillou noir.

Supposons que je l'utilise à nouveau ? Qu'est-ce qui adviendrait ? Sans doute rien de grave... la dame m'avait dit que je pouvais l'utiliser plusieurs fois, que c'était sans danger.

Cependant, elle avait aussi dit qu'à force de chercher la perfection, je me perdrai.

Et puis, je dois lui rendre, sa caillasse. Je lui ai promis. Et je ne suis pas malhonnête.

Alors je repose doucement le caillou dans le tiroir ; je l'enfouis sous des cahiers, pour ne pas que l'envie me prenne de l'utiliser. Et j'abandonne tout espoir.

Il ne ressuscitera pas une deuxième fois. Il est mort. C'est définitif.

Je vais revoir ma soeur arriver, dans quelques heures.

Je vais revivre ces deux mois de dépression.

Je vais retourner à son enterrement.

Et cette fois, pas de retour dans le passé. Cette fois, je vais continuer ma vie, seule, à ne plus vouloir parler à personne avant des siècles.

Je m'affale sur le canapé derrière moi, et m'abandonne à nouveau dans une crise de larmes.

***

Je n'ai pas réussi à m'endormir. Il me hante comme un fantôme. Je ne sais même pas si un jour je réussirai à retrouver le sommeil. Sans doute pas. Après tout, j'ai quand même tué un être vivant.

Il est quatre heures. Ma soeur ne va pas tarder à arriver. Elle verra mon visage en larmes, rougi, gonflé, mais déballera son histoire. Et moi, je ne vais pas la couper, et fondre en larmes dans ses bras. Moi, je vais simplement lui expliquer que je sais pour Vincent et elle, et que... qu'il... est mort.

Parce que si je dois éviter de faire une deuxième erreur, ce sera celle-là. Je ne veux pas entrer à nouveau dans la dépression sans que ma soeur ne soit là pour moi. C'était trop dur de se sentir seule, seule, seule. Seule.

Soudain, interrompant mes pensées, une sonnerie.

C'est elle. C'est ma soeur.

Je ne me fais pas prier et vais lui ouvrir. Tandis que je la vois s'apprêter à déballer son monologue, j'ai une énorme sensation de déjà-vu. Et autre chose... J'ai l'impression que... Je ne sais pas, c'est bizarre, je vois déjà ce qu'il va se passer.

« Bonjour, Gwenaël. Désolée, je peux entrer ? Mon copain m'a larguée hier soir, j'ai besoin de réconfort. Ouais, je sais, il est plus de quatre heures du mat', mais... Bon, écoute, je le croyais plus honnête... Alors j'ai attendu toute la journée qu'il vienne me rendre visite. Mais il n'est pas venu. Et là, ça fait vingt-quatre heures qu'il m'a quittée. Alors je viens te voir... allez, tu me fais entrer ? »

L'impression de déjà-vu qui s'installe en moi est très, mais alors très désagréable.

Mais cette fois, je me mords la lèvre, et je souffle :

« Écoute, soeurette. Je sais tout. Je sais pour toi et Vincent. Je sais tout. Hier, vous vous êtes disputés. Il a appris que tu avais embrassé ton meilleur ami.

- Ouais bah mdr, genre il t'as jamais embrassée ?

- Euh, pardon ?!

- Bah si, je suis sûre que si.

- Mais t'es folle ma parole ! Jamais de la vie !

- Ouais, c'est ça, mytho.

- Déjà, je ne venais pas te dire ça.

- Tu changes de sujet ?

- Tais-toi ! On s'en fout, qu'il t'ait quitté, parce qu'il le pensait pas ! Il allait venir s'excuser quand il s'est crashé sur un mur, putain ! »

Ma soeur reste sans voix, puis elle finit par fondre en larmes et tomber dans mes bras. Moi aussi, je me mets à pleurer.

Elle ne sait pas que c'est moi qui l'ai tué.

Mon futur-ex-ancien meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant