Chapitre 0 bis

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Vincent et moi sortons de l'appartement. Nous marchons en silence, un lourd silence, jusqu'à sa voiture. Nous montons dedans, moi sur le siège passager, lui sur le siège du conducteur. Nous nous attachons. Il démarre.

Je ne dis pas un mot, et lui non plus. Sans doute est-il encore un peu en colère contre moi.

C'est le matin, et le soleil est bas. Il envoie des rayons de soleil directement dans nos yeux. Ils n'ont pas besoin de forcer pour passer à travers les nuages : le ciel est vide.

La radio diffuse une musique vintage. Vincent ne bouge pas, et se concentre sur la route.

Nous nous arrêtons à un feu rouge, et je me permets enfin de lui parler :

« Écoute, tu sais que c'est pour ton bien. »

Il ne répond rien, garde les yeux rivés aux autres voitures.

« Tu me remercieras après l'avoir vue. »

Il finit par hocher gravement la tête. Puis il sourit, et me glisse :

« J'adore cette musique, je ne sais pas pourquoi.

- Moi non plus », je réponds, alors il éclate de rire. Son sourire reste sur ses lèvres, et moi, je me félicite d'avoir détendu l'atmosphère.

Il était stressé depuis que je lui avais parlé, ce matin. Je l'avais entendu pleurer toute la nuit, à cause de la dispute avec ma soeur, alors j'ai décidé de lui en parler. Je l'ai regardé bien en face, et je lui ai dit :

« Tu sais, tu devrais aller lui parler, pour qu'elle te pardonne. Tu lui diras avec honnêteté qu'il ne s'est jamais rien passé entre nous, et elle te sautera au cou.

- Pendant que toi tu sauteras au cou de Bastien dans notre dos, a-t-il fait en levant les yeux au ciel. Tu sais, rien ne se passe jamais comme prévu, dans la vie.

- Mais ça, si », lui ai-je dit.

Après avoir insisté plusieurs fois encore, en argumentant (« Non, non, pas par téléphone. Ça fait mec lâche ! »), il avait fini par accepter. Sans doute un peu pour me faire plaisir.

Et nous nous retrouvons là, maintenant, en voiture vers la reconquête de sa petite copine - et de ma soeur. Étrangement, ça me fait une impression de déjà-vu, mais je ne sais pas mettre la main sur le pourquoi. Alors je laisse tomber et je profite du moment présent en voiture avec Vincent, mon meilleur ami de toujours.

La musique change et laisse place à du rock'n roll. Je me demande un instant ce qu'est cette radio, pourquoi elle diffuse autant de styles différents. Puis je me dis que ce n'est pas important.

Mais quand même, j'ai une impression très désagréable. Je me concentre dessus, mais je n'arrive toujours pas à trouver pourquoi je la ressens.

Je vois que Vincent s'engage sur l'autoroute. Il accélère.

Soudain, je pense à quelque chose ; et ça me coupe le souffle. Et si Bastien était avec ma soeur, chez elle, en train de l'embrasser ? Quelles belles retrouvailles ça...

Mais pourquoi serait-il en train de l'embrasser ? Ils ne sont pas amoureux, c'est n'importe quoi.

Je ressens un frisson au niveau de la nuque. Je me gratte distraitement l'endroit concerné, puis me dis que je devrais appeler Bastien... Juste pour m'assurer qu'il ne l'embrasse pas à l'instant présent.

Mais bon sang, qu'est-ce que je raconte ?! Pourquoi ils s'embrasseraient ?

Je secoue la tête, et chasse mes pensées. Je n'ai pas besoin de délirer maintenant.

Je me saisis de mon téléphone. Mais, avant que je ne puisse l'allumer (je ne l'ai pas consulté depuis plusieurs jours, ce qui est très rare pour moi !), Vincent m'arrête d'un geste risqué de la main et me fixe un instant dans les yeux. Puis il reporte son attention sur la route et me questionne :

« Tu comptais faire quoi ? Appeler ton Bastien chéri ?

- Je, euh... oui, mais pas pour ce que tu crois, hein.

- Hein-hein..., fait-il d'un air suspect. Et donc, tu comptais faire quoi ?

- Appeler Bastien, pour lui demander s'il ne risquait pas de déranger quand on arriverait.

- Et pourquoi dérangerait-il ?

- Au cas où... »

Nous nous taisons quelques instants, puis mon meilleur ami reprend, en soupirant :

« Tu fais pas confiance à ta soeur ou quoi ? Ça me rappelle le jour où tu es allée chez elle pour lui demander de ne pas me tromper. »

Je reste un instant sans voix. Ça me rappelle quelque chose, je l'ai sur le bout de la langue, mais je ne sais pas quoi !

Vincent se met soudainement à accélérer. Sans doute a-t-il envie d'arriver avant que Bastien n'ait le temps de partir...

En tous cas, il ne m'interdit rien, alors j'appuie sur le bouton de mon téléphone. Je vois l'écran noir s'allumer, l'icône de la marque s'afficher...

Puis le menu de mon portable apparaît, et, en bas à droite, une bulle se forme. Je vois écrit : « Agenda : 15 avril = Attention Vincent ne quitte pas la maison ! », et, soudainement, tout me revient en gros paquet dans ma tête : la dispute initiale avec ma soeur, les deux enterrements, le 15 avril, sa mort, l'inconnu au téléphone, mon erreur, la vieille dame au châle, ses recommandations (« Chercher l'a perfection grâce à ce caillou ne vous mènera à rien. »), la raison initiale de Vincent lorsqu'il a pris la route les deux autres fois...

Cette fois, c'est moi qui l'y ai poussé.

Je ne perds pas plus de temps en réflexion, je me tourne vers Vincent et le regarde un quart de seconde.

Je vois un détail fatidique : Vincent porte sa veste.

« Est-ce que t'as mon numéro de téléphone dans ta veste ?

- Quoi, mais qu'est-ce que tu...

- Réponds putain, on n'a pas le temps ! Allez !

- Oui ! Oui ! »

Il me jette un oeil plein d'incompréhension, mais je n'y fais pas attention et je lui hurle :

« Tourne ! Sors ! Vite, prends la sortie putain !

- Mais pourquoi ?! Tu délires ?! »

Je ne lui laisse pas le temps d'argumenter et je me jette sur le volant. Je donne un grand coup vers la droite pour espérer avoir le temps de prendre la sortie, et, avant d'entrer en collision avec le triangle de protection, je vois le numéro de la sortie écrit au-dessus de nous : 18.


Mon futur-ex-ancien meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant