Chapitre 4

17 4 19
                                    

La foule est encore rassemblée dans l'église, alors je suis seule sur la place sombre. De gros nuages gris encombrent le ciel, s'accordant parfaitement avec mon humeur.

Une bourrasque me fait légèrement vaciller sur le côté, et je pense amèrement que lui, il m'aurait retenue sans aucune ambiguïté. Lui, il était parfait... Malgré tout ce que j'essaierai de faire, moi, je ne serai jamais parfaite. Parce que moi, oui, moi, j'ai trop de défauts. Lui...

J'en ai marre de penser à lui. Avant, il m'accompagnait partout, en chair et en os ; maintenant, il m'accompagne partout, en pensées... Et je désespère de ça. Je suis toujours obligée de comparer mes actes à ce qu'il aurait fait, mes idées à ce qu'il aurait pensé... Je me compare moi-même à lui, et, il faut l'avouer, ce n'est pas positif, car je lui trouve toujours plus de qualités, quand je fouille dans mes souvenirs, et ça rabaisse l'image que j'ai de moi.

À l'autre bout de la place, une femme, qui doit sans doute avoir la cinquantaine, me fixe avec insistance. Curieuse, je la regarde à mon tour ; elle ne baisse pas le regard. Je viens d'aller à un enterrement, et voilà qu'un vieille mégère me juge ! Énervée, je m'approche d'elle et grogne, malpolie à cause des circonstances :

« Qu'avez-vous ?

- Bonjour, mademoiselle.

- Que se passe-t-il ? Il y a un problème ?

- Non. Je me demandais juste si vous regrettiez ?

- Regretter quoi ? je demande, agacée.

- Que votre ami Vincent soit décédé.

- Ce n'était pas mon ami, mais le meilleur des meilleurs amis qui puisse exister.

- Et vous regrettez sa mort ? Vous regrettez de ne pas avoir pu l'empêcher ?

- Que racontez-vous ? Bien sûr, que je regrette. Mais je n'y peux rien. Ce n'est pas comme si je pouvais remonter le temps et empêcher cela, c'est impossible.

- Impossible ? Je ne connais pas ce mot, moi. Et puis, c'est drôle que vous disiez ça, car, justement, je peux vous faire remonter le temps. »

Je me tais quelques secondes, fixe avec incrédulité la femme, puis rétorque sèchement :

« Vous savez, j'ai arrêté de croire aux canulars le jour de sa mort. Un inconnu m'a téléphoné et m'a dit que Vincent avait eu un accident. J'ai cru que ce blagueur de Vincent rigolait encore de moi, mais non. Il avait bel et bien eu un accident. Alors si vous croyez, madame, que je vais croire aux contes de fées, vous vous trompez. »

La dame souffle, baisse la tête, la relève puis sourit :

« Je comprends, croyez-m...

- Non, vous ne comprenez pas ! J'ai perdu mon meilleur ami, alors arrêtez de m'emmerder à la sortie de son enterrement avec vos contes de fées !

- Mais puisque je vous dis qu'il n'est pas perdu ! Il est juste mort dans cette réalité actuelle ! Vous pouvez ! Vous pouvez, mademoiselle !

- Mais... arrêtez, laissez-moi tranquille... »

Je fonds en larmes devant cette inconnue. De quel droit me le rappelle-t-elle ? De quel droit peut-elle me faire espérer que la magie peut sauver mon ex-meilleur ami ? C'est impossible ! Impossible...

« Écoutez, reprend-elle, si vous y croyez, je peux vous ramener d'un simple coup de baguette le 14 avril. Vous savez, la veille de...

- Mais pour qui me prenez-vous ? je m'exclame à travers mes sanglots. Arrêtez de me persécuter, je veux juste... rentrer... chez nous...

- Mais justement. Ça peut redevenir votre chez-vous à vous deux si vous croyez en ce que je vous dis.

- Mais c'est im-pos-sible... »

Je fonds à nouveau en larmes, et la vieille dame me prend dans ses bras. Je sanglote là, dans son grand châle noir, et elle me laisse pleurer. Puis elle me chuchote :

« Faites-moi confiance... Si je vous dis que je peux vous ramener au matin du 14 avril... Croyez-moi.

- Je... ne me donnez pas de faux espoirs, il est... mort !

- Vous commencez à y croire, avouez.

- Oui, je... je suis prête à tout pour le ramener à la vie...

- Alors écoutez, mademoiselle. »

Elle me pousse lentement afin de se retrouver assez éloignée de moi pour planter ses yeux dans les miens.

« Écoutez... Vous allez prendre cela. »

Elle sort un caillou noir et lisse de sa poche, et me le cale au coin de la main.

« Croyez-moi, ça va fonctionner. Vous serez téléportée ici, au matin du 14 avril. Vous aurez un peu plus d'un jour pour empêcher sa mort. Vous vous en croyez capable ? »

Je hoche la tête solennellement et elle me murmure :

« Tenez ce caillou dans votre main, et souhaitez de revenir le 14 avril. Vous vous souviendrez de tout ce qu'il s'est passé. Mais s'il-vous-plaît, je dois vous avertir de quelques petites choses : tout d'abord, ne parlez de votre voyage temporel à personne. Et quand je dis personne, c'est absolument personne. Secundo, techniquement, le caillou peut fonctionner plusieurs fois. Mais je vous demande de me le rendre, la prochaine fois que vous viendrez ici. Je viens tous les jours sur cette place, vous n'aurez aucun mal à me trouver. Le caillou... vous devez me rendre le caillou. Il n'est pas en lui-même dangereux, mais l'utiliser plusieurs fois pourrait avoir des répercussions sans que vous ne vous en rendez compte. Chercher la perfection grâce à ce caillou ne vous mènera à rien. Alors, entendu ? Après avoir évité son accident, vous vous rendrez sur la place, et vous me le rendrez ? Vous le promettez ?

- Oui, je souffle avec sérieux.

- Très bien. Alors maintenant, disparaissez et allez accomplir l'impossible pour votre meilleur ami. »

Je hoche la tête à nouveau. Je ne sais pas trop si je dois y croire, mais pour Vincent, je peux tenter l'impossible.

Je souris à la vieille dame tout de noir vêtue et lui souffle :

« Merci, madame. À dans quelques jours.

- Dans le passé. File, Gwenaël. »

Je ferme les yeux et serre les poings sur le caillou, puis je songe :

« Je veux revenir au matin du 14 avril. »

Puis, dans le tourbillon d'air qui commence à mystérieusement m'emporter, je me demande :

« Comment connaît-elle mon prénom ? »

Mon futur-ex-ancien meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant