Un temps infiniment long semble s'être écoulé depuis que j'ai quitté la place, lorsque j'ouvre les yeux. Devant moi, la même place me fait face. Cependant, il n'y a plus de gros nuages dans le ciel, mais un soleil imposant pour la saison.
J'ai eu raison d'y croire ne serait-ce qu'un peu, parce qu'on dirait bien que ça a fonctionné.
Le soleil me caresse la peau et me la réchauffe un peu. L'horloge de l'église indique onze heures et quart.
Logique. Je viens d'aller à un enterrement, qui se produit dans deux mois. Non. Qui ne se produira pas.
J'ouvre enfin la main, et pose un regard empli de gratitude sur ce petit caillou. Il a sauvé la vie de mon ami.
Je me mets en marche vers chez moi, enfin chez nous, à grands pas. Que j'ai hâte de le retrouver ! Ça fait deux mois que je ne l'ai pas vu, et il va revenir de parmi les morts !
***
J'arrive devant notre porte et l'ouvre avec mon double de clef. Dedans, il fait clair. Sur le fauteuil, j'aperçois une forme étendue... Vincent !
Vincent est là, il m'attend ! Je me rue de l'autre côté du canapé et saute sur Vincent avec un sourire jusqu'en haut de la tête. Il me sourit lui aussi, me prend dans ses bras, puis me repousse doucement et chuchote :
« Hé, là ! Qu'est-ce qu'il se passe, Gwen ?
- Je... je suis tellement contente de te retrouver, tu sais !
- Ah oui, mais tu sais, tu m'as vu ce matin, avant de partir te promener.
- Euh, oui... mais j'avais hâte de te revoir.
- D'accord, d'accord ! s'exclame-t-il dans un sourire. OK, mais maintenant, tu peux me lâcher. »
Je l'étreins une dernière fois avant de reculer, et de le regarder. Je m'imprègne de chacun de ses traits : tête fine, sourire rieur, yeux pétillants, mèches folles brunes...
Je ne peux vraiment pas me passer de lui. Ce caillou m'a sauvé la vie aussi, je pense.
« Dis, je voulais te dire..., je commence en reculant lentement. Tu vois, demain, t'as un truc de prévu ou pas ?
- Pourquoi ? Tu veux qu'on aille au ciné ?
- Non, non, demain, j'ai une réunion au bureau.
- Alors qu'est-ce que t'entends par là ?
- Je voulais dire que... demain, Vincent, tu ne dois aller nulle part, d'accord ? Tu restes confiné à l'appart'. Et si jamais tu dois aller en urgence quelque part, tu m'appelles et je t'y conduis. Hors de question que tu conduises. OK ?
- Mais..., lâche-t-il, sans comprendre. Pourquoi, Gwen ? T'as fais quoi ce matin ? T'as fumé, c'est ça ?
- Non, non. Je te dis juste que pendant que je serai au boulot, tu n'as pas intérêt à faire ton malin et à partir de l'appart' en secret. OK ?
- Mais, demain je dois...
- Non, je le coupe, tu ne dois rien faire. Tu m'entends ? Demain, tu ne quittes pas le domicile. Pour rien au monde.
- Bah, de toute façon je devais voir personne, donc, si ça peut te faire plaisir...
- Oui, ça me ferait plus que plaisir, Vincent.
- OK, alors. »
Je me tais, lui aussi, et nous nous fixons quelques instants. Soulagée de l'avoir retrouvée et soucieuse de le perdre encore une fois un jour, je lui avoue :
« Tu sais, Vincent, tu es la plus belle chose qui me soit jamais arrivée. Notre amitié de onze ans, elle est pas prête de se finir. OK ?
- Oui, oui, je sais. J'ai confiance en toi.
- Moi aussi. Mais sache que t'es un mec exceptionnel.
- Ah, euh... OK, merci Gwen. Toi aussi t'es exceptionnelle, tu sais. »
Je ferme ma bouche, regarde Vincent et souris. Il n'y a que lui pour retourner les compliments extraordinaires qu'on lui fait.
***
Il est tard. Je suis dans ma chambre, allongée sur mon lit. J'écoute de la musique, et j'ai comme qui dirait l'impression que l'enfer est derrière moi. Vincent est là, avec moi, et il ne partira pas. Je sais que je peux lui faire confiance, et que, quand je serai au bureau, demain, il ne va pas quitter la maison.
Plusieurs heures avant, j'ai déposé le caillou dans un tiroir de ma chambre. Je le redonnerai dans quelques jours à cette aimable dame.
J'entends un grognement dans sa chambre, alors je me lève péniblement, et, en pyjama, j'entre sans gêne. Il est là, dans son lit, avec son téléphone en main. Il a les larmes aux yeux, et semble prêt à tout fracasser autour de lui en même temps. Je retiens un cri, et demande, inquiète :
« Vincent ? Qu'est-ce que... ça va ? »
Il lève lentement la tête vers moi, et souffle :
« Laisse-moi, j'ai besoin d'être seul, Gwen. J'ai besoin de pleurer en paix.
- Mais, tu ne veux pas en parler ?
- Non ! Tu n'as jamais connu cette sensation-là, toi, de vouloir pleurer sans que personne ne te dérange ?
- Si, je l'ai même connue dans le futur.
- Pa-pardon ? s'exclame-t-il, estomaqué.
- Je veux dire que...
- C'est pas le moment de blaguer, Gwen. Laisse-moi. »
Je capitule, recule et retourne dans ma chambre. Que se passe-t-il ?
Je m'allonge dans mon lit, sur mes couettes, et scrute le ciel. La voûte céleste ? Non, la voûte de ma chambre. Mais je vais me contenter de cela, ce soir, parce que j'ai déjà ressuscité mon meilleur ami.
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Mon futur-ex-ancien meilleur ami
General FictionLa mort a frappé dans la vie de Gwen... Son meilleur ami (pardon, ex-meilleur ami) est parti, victime d'un accident de voiture. On lui offre une deuxième chance. Saura-t-elle bien s'en servir ? ⁛ Un appel entrant d'un inconnu. ⁛ Une nouvelle inatten...