30 octobre 2536
Cela fait un peu plus d'un mois que je passe le plus clair de mon temps à la bibliothèque, cherchant une solution au problème d'unification. Il arrive que mon esprit vacille sous le coup de la fatigue et que ma concentration se dissipe, et dans ces moments là je repense aux réflexions du Chancelier. Certains citoyens pensent pouvoir obtenir l'immortalité et devenir une Divinité consciente en offrant leur chair. En d'autres termes, ils imaginent que la portion d'âme attachée à leur chair ne se fondra pas ni ne se diluera dans le Galm et qu'elle restera intacte. Finalement, cela revient à imaginer que le Galm sera une conscience plurielle plutôt qu'une entité unie. Je ne comprends pas d'où peut venir une telle croyance, tout dans l'histoire des Ordos et dans le credo que nous prêchons démontre le contraire ! Le simple fait que les quatre Ordos s'accordent sur l'unicité du Galm devrait suffire à convaincre quiconque que telle est la vérité. Existe-t-il des prophètes dans la Cité qui clament le contraire ? Des excentriques sans lien avec les Ordos, n'ayant probablement jamais posé les yeux sur les Planches, agissent-ils dans l'ombre pour répandre cette idée nauséabonde ? Ou peut-être bien sommes nous responsables de l'émergence de cette hérésie en ayant par trop simplifié notre message ?
Ce qui est certain, c'est que cette idée n'est pas seulement une hérésie individualiste : c'est aussi une aberration scientifique sans aucun fondement. La fusion de la chair amène la fusion des âmes qui y sont rattachées : c'est une évidence dont la démonstration se passe de mon intervention.
10 novembre 2536
J'ai découvert un classeur contenant des documents particulièrement intéressants dans le sous-sol de la bibliothèque. Il s'agit des plans originaux des masques de Dissecteur, tels qu'imaginés par un moine-ingénieur inconnu, quelques cinquante ans après la fondation des Ordos. Le texte est rédigé en langue des oiseaux, chaque mot étant savamment choisi afin d'évoquer une multiplicité de sens selon le cadre de lecture. Ainsi, un texte lu en comprenant les mots par une analyse étymologique aura une signification totalement différente que le même texte décrypté au travers du prisme hiéroglyphique ou phonique. C'est une manière d'ouvrir des perspectives de lecture et d'écriture bien au-delà de l'accumulation de mots isolés affublés de leur sens usuel. Je recopierai dans cette note le verset accompagnant les schémas de fonctionnement des senseurs des masques. Bien que j'éprouve un amour tout particulier pour la langue des oiseaux, je choisis d'écrire en langue claire pour des raisons d'accessibilité et afin d'éviter toute mauvaise interprétation de la part de lecteurs profanes. Ces documents décrivent donc avec force détails le fonctionnement des masques et la vision multiple offerte aux Dissecteurs. J'ai notamment découvert que chaque masque était équipé d'un cogitateur collectif qui permet aux Dissecteurs de mettre leurs pensées en commun et de les accorder aux images anatomiques captées par leurs senseurs. Le principe est le même que pour nos creusets : l'harmonie collective permet d'augmenter l'efficacité et la précision de la technique. Pour les Dissecteurs, leur vision s'éclaircit et se stabilise grâce à la noosphere générée par leur assemblée. Les différentes vues anatomiques et les grossissements locaux se superposent et se mélangent harmonieusement, et cette clairvoyance leur permet d'opérer avec une précision impressionnante.
A mesure que je consultais les plans des masques, je me demandais si une telle technique pouvait être adaptée à nos besoins expérimentaux. Nous avons besoin de pouvoir observer la matière de très près et sous différents aspects afin de pouvoir fusionner deux éléments entre eux efficacement. Si nous parvenions à émuler le fonctionnement des senseurs des masques au sein d'une machine d'observation, nous pourrions opérer à très petite échelle et appliquer la pommade de fusion de manière très précise. L'instrument serait manœuvrable par un opérateur unique, à la différence des masques des Dissecteurs qui nécessitent de fonctionner en commun. Peut-être qu'un ensemble de boucles rétroactives pourrait suffire à stabiliser l'image ? Je ne suis pas sûr que l'Ordo approuverait une telle innovation, surtout après notre échec récent et les coûts engendrés par l'endommagement de nos creusets... Mais je vais quand même y réfléchir, je suis certain qu'il y a là des possibilités fascinantes.
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Anatomie Divine I - Les Études de Sheth
FantasyBienvenue dans l'univers d'Anatomie Divine et préparez-vous à vivre l'étrange récit de Sheth, le moine-chercheur de l'Ordo Hermétiste qui voulut offrir la divinité aux hommes. Les Études de Sheth constituent le premier roman d'Anatomie Divine, ouvr...