Chapitre 1

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Être soumis. C'est la première chose que l'on nous apprend. Ici, à ce bordel, nous sommes élevés pour cela. De toute façon, je n'ai connu aucune autre vie. Je suis né ici et il ne fait aucun doute que j'y mourrai.

Aujourd'hui et comme tous les autres jours depuis mes quinze ans, je vais vendre mon corps à tous ceux qui le désirent. C'est un matin ordinaire qui va guider cette journée ordinaire : un réveil aux aurores, une rapide toilette pour enlever la crasse de la nuit et les vêtements amples qui viendront me vêtir. Les quelques minutes qu'il me faut pour me préparer sont mécaniquement appliquées et mises à profit pour me présenter sous mes plus beaux atouts. Un miroir nous est mit à disposition afin que nous ajustions avec soin notre pantalon et le petit haut très sensuel que nous mettons tous les jours. C'est ainsi que nous pouvons choisir les meilleurs bijoux, notamment les boucles d'oreilles et les bracelets finement ouvragés. Bien évidemment, aucun n'est taillé dans un métal précieux pour éviter les vols.

Pourtant, dans notre maison de joie, les matériaux précieux ne manquent pas : elle est assez réputée dans le pays, et c'est une chance. En plus, cela permet ainsi à chacun de nous d'avoir une éducation. Des cours nous sont donnés, pas seulement sur comment donner du plaisir et offrir entièrement son corps sans réserve ni jugement, mais également des cours de littérature, de chant et de danse. Ainsi nous pouvons nous rendre à des soirées mondaines et ramener plus de clients à l'établissement. Cela arrive bien souvent qu'un oméga soit convié à ce genre de fêtes. D'ailleurs, j'y ai passé deux soirs pendant cette semaine. Un comte m'avait invité et a dépensé assez d'argent pour remplir un mois de salaire. Je ne peux pourtant pas me reposer sur mes lauriers et je dois travailler tous les jours.

Certains me diront que ce n'est pas un véritable travail, que ce n'est pas légal ni honnête. Je ne connais rien d'autre pourtant. J'ai grandi ici, depuis que j'ai seulement quelques mois. À ma naissance, mes parents m'ont abandonné sans motif aux portes de la mort. C'est Cléa, une jeune prostituée qui m'a sauvée et m'a amenée à vivre ici avec elle. Cléa, c'est ma grande sœur de cœur : elle a trente cinq ans maintenant mais n'en avait que la moitié lorsqu'elle m'a trouvé. Nous nous entendons tous bien dans cette maison de joie, nous n'avons pas vraiment le temps de nous disputer de toute façon. Et puis, lorsque les clients sont plus violents ou nombreux, cela fait du bien d'être rassuré par les autres. Nous sommes une cinquantaine à offrir nos services chaque soir, avec trois apprentis qui n'ont pas encore l'âge fatidique. Nous sommes distingués par notre collier de couleur différente : un noir pour les seniors, ceux de plus de vingt-cinq ans ; un mauve pour les majors, de dix-huit à vingt-cinq ans ; un bleu pâle pour les jeunes entre quinze à la majorité et les apprentis en ont un blanc. Ces colliers en tissu à la fois souple et ferme ont plusieurs utilisations. D'abord, elles permettent de fixer nos tarifs. Un collier noir rapportera moins qu'un bleu, puisque les jeunes sont souvent plus prisés et plus précieux que les adultes. Ensuite, ils permettent d'afficher publiquement notre âge et notre condition de soumis. Et, le plus important, ils empêchent tout Alpha de nous lier. Puisque nos nuques sont ainsi protégées, ils ne peuvent pas nous mordre et faire de nous leur propriété. J'ai, depuis quelques mois, obtenu mon collier mauve. Je ne le quitte jamais, pas même pour dormir. C'est pourquoi aujourd'hui, je choisi une tunique orangée : assortie à mes cheveux flamboyants, les reflets violets font ressortir la couleur froide de mon collier. Depuis que j'ai changé de couleur, mes clients sont bien plus nombreux et variés. En effet, ma jeunesse et mon prix plus accessible font des ravages dans le logis. Des hommes et des femmes de hauts rangs m'ont demandé tellement de fois que, depuis les six mois où j'ai changé de collier, un liquide blanc ne m'appartenant pas coule sans cesse de mon intimité. Cela ne me dérange plus, j'ai l'habitude désormais. Depuis trois ans et des poussières que j'offre mon corps, j'ai vécu bien assez de choses pour ne plus me soucier de cela. Plus rien ne m'importe maintenant, je n'ai plus aucune douleur dans mon anus sans cesse dilaté et lubrifié. Il n'est propre et reposé que pendant les quelques heures de sommeil que nous avons.

Enfin bref, comme je le disais, aujourd'hui est une journée tout à fait ordinaire. Le ciel est bleu, les nuages d'un blanc assorti à ma peau et le soleil se lève en douceur. Dans quelques heures pourtant, ma vie changera du tout au tout...

LucanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant