Chapitre 13

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     Tandis que je m'efforce tant bien que mal de répéter quelques notes de dernière minute, je perds la notion du temps car lorsque le son s'arrête je m'aperçois de la présence d'une dizaine de personnes dans l'entrée. Voyant que je les ai remarqués, ils s'avancent vers moi plutôt timidement pour une fois afin d'en savoir plus sur mes prétendus dons de musicienne. J'explique qu'en vérité je n'ai jamais pu prendre de cours et que je ne sais même pas lire une partition, ce qui à ma grande surprise semble plutôt les ravir. Incompréhensible. La question inévitable finit par sortir de la bouche d'un jeune homme qui doit sûrement débuter dans le métier :

- Pourriez-vous nous jouer un morceau, Mademoiselle ?

Je tente de dissimuler mon hésitation et mon malaise sous un faux sourire :

- Bien sur. Vous aimez Disney ?

Quelques acclamations d'encouragement viennent approuver ma proposition et je me tourne vers le clavier. Je ne peux pas me défiler plus longtemps.

J'inspire profondément, même si ça me trahit sans doute, et commence à jouer les premières notes de L'Air du vent, musique emblématique du film Pocahontas que j'ai toujours adoré, je fais preuve de toute la concentration dont je suis capable. Le silence se fait automatiquement.

J'essaie de faire abstraction du décor pour m'imaginer chez moi devant mon synthétiseur, même si c'est difficile vu la taille de l'instrument qui me sert en ce moment. Je tente de visualiser ma chambre, où je pouvais jouer dans le calme et la sérénité. J'imagine ma sœur ouvrant la porte pour venir m'écouter et c'est alors que les larmes me montent en une fraction de seconde. Elle connaissait par cœur cette chanson.

Tachant de reprendre mes esprits, je me rends compte que les personnes présentes se sont mises à chanter les paroles de la versions anglaise, assez doucement pour ne pas couvrir les notes mais assez haut pour que je puisse les entendre. Un sourire triste sur les lèvres, je les rejoins d'une voix à peine audible.

How high does the sycamore grow ?

If you cut it down, then you'll never know

And you'll never hear the wolf cry to the blue corn moon

For whether we are white or copper skinned

We need to sing with all the voices of the mountains

We need to paint with all the colors of the wind.

J'essuie discrètement la larme qui a réussi à rouler sur ma joue tandis que l'assemblée applaudit énergiquement ma prestation, même s'il s'agissait plutôt de la leur. Je me tourne pour les remercier en prenant tout le temps nécessaire pour que mes yeux perdent la marque rouge laissée par l'émotion. Je me doute que je vais encore avoir droit à un interrogatoire filmé.

Garett est introuvable. Je foule le parquet pour regagner la porte et jeter un œil mais il n'y a rien à faire, il a déserté. Je suis retenue par les caméras à l'intérieur :

- Quelle scène vous venez d'offrir au peuple du Cercle, Mademoiselle Romero ! Avez-vous lu les récents sondages de popularité ?

- Tant d'émotion cette après-midi entre les murs du Palais royal où notre candidate préférée vient de réaliser une performance pour le moins touchante...

Je réponds poliment aux quelques questions tout en lorgnant la sortie, je sais que je ne peux pas me permettre d'envoyer paître les médias par moi-même, ils forment mon unique support et le moindre signe d'hostilité pourrait me nuire.

Le Cercle - le FlorilègeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant