Chapitre 19

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     Tout juste une demi-heure plus tard me voilà de nouveau dans le bureau de la présidente, un endroit que je commence à fréquenter un peu trop à mon goût. Ma remarque à provoqué un carnage télévisé et l'interruption immédiate du programme normalement diffusé en direct, car il est évidement considéré inacceptable qu'une candidate de la Fine Fleur dise ce qu'elle pense devant des milliers de gens si cette pensée ne va pas dans le sens apologique du système. J'ai au moins le mérite d'avoir réussi à effacer le sourire répugnant de la présentatrice.

Je risque sûrement très gros, j'en ai conscience, mais il est trop tard. Et je sais qu'au fond je n'ai fait que dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, alors si je dois être expulsée je le serai l'esprit tranquille.

Le regard menaçant de Sunsiller ne me fait plus aucun effet, et tandis qu'elle fait les cent pas dans la pièce, je ne tremble pas d'un poil et contemple calmement le ciel bleu à travers les immenses vitres dorées. Mon absence de réaction semble la contrarier.

- Je devrais t'expulser pour ce que tu viens de dire et tu le sais très bien.

Après tout est-ce que ce n'était pas censé m'arriver il y a longtemps ? Est-ce que ce n'est pas ce qu'elle voulait : se débarrasser de moi ?

Elle finit enfin par revenir vers son fauteuil, attrapant une feuille derrière elle qu'elle écrase sur le bois devant moi d'un air agacé :

- Mais voilà mon problème.

En posant mes yeux sur le papier je découvre un graphique analytique et comprends qu'il s'agit d'un sondage de popularité des candidates, sûrement l'un des plus récents car seules les filles de la Fine Fleur y figurent encore. Je suis en tête, comme toujours depuis le début de la compétition même si cette fois les pourcentages sont largement creusés entre Iris, deuxième, et moi.

- Je risque une insurrection massive si je te renvoie publiquement pour ces paroles, bien que condamnables. Estime toi chanceuse que les techniciens aient eu le réflexe de te couper dans la seconde d'intervalle de diffusion du direct, on a du prétexter une coupure de courant.

Je relève soudainement la tête, choquée. Ils m'ont coupée ?

Sans savoir si je devrais m'en réjouir ou être déçue que personne n'ai entendu le vrai fond de ma pensée, je continue de me murer dans le silence pendant que la présidente poursuit :

- Il existe mille faux scénarios, mille fausses excuses que je pourrais inventer au public pour t'expulser, Ruby.

Elle soupire en s'affalant dans son siège, résignée :

- Mais je n'en ferais rien.

Je fronce les sourcils, ne pouvant empêcher l'incompréhension de se lire sur mon visage. Je parviens à peine à articuler :

- Mais... pourquoi ?

- J'ai besoin que tu continue l'émission, le personnage que tu représente est bien trop important en ce moment avec la montée de rebelles que subissent certaines zones.

C'est donc ça. Peu lui importe que je sois partisante de son système tant que je fais semblant devant ses détracteurs de m'être repentie, je ne suis qu'un pion de plus dans son jeu de pouvoir et d'influence. Garett avait raison sur toute la ligne : cette femme ne sert que ses propres intérêts.

- Nous ferons donc comme si rien ne s'était passé, tu présenteras de fausses excuses publiques que seuls les témoins et tes collègues liront. Je ne veux pas non plus qu'ils te croient immunisée de tout. Maintenant hors de ma vue.


C'est ainsi que je suis retournée à mes lectures ce soir là, comme si rien ne s'était passé. C'est ainsi que je suis allée prendre le dîner autour de la table drastiquement réduite et désertée par l'élimination, comme si rien ne s'était passé. Je n'ai même pas eu droit aux remarques de qui que ce soit, comme si rien ne s'était passé. C'est ainsi que je me suis endormie comme tous les soirs avant de reprendre le cours d'une nouvelle journée, comme si rien, absolument rien, ne s'était jamais passé. Car après tout, que s'est-il réellement passé ?

Le Cercle - le FlorilègeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant