Chapitre 6 partie 1 - Kiëran

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27 mai 2020

Je l'observe de loin. Elle s'est assise en tailleur sur le banc et vient de coincer une cigarette entre ses lèvres rosées. Sa main est assurée quand elle attrape son briquet, pas comme les jours précédents. Son odeur me parvient par vague, au rythme de la brise printanière. Mais très rapidement, cela est gâché par les relents de cigarette. La jeune femme tire dessus, expire en fermant les yeux, comme si la fumée lui procurait du bien-être.

Mes sourcils froncent lorsque je fais un pas vers elle. J'ai envie de lui arracher l'objet de la bouche. Ses poumons ne devraient pas être soumis à ce genre d'attaque, d'autant qu'elle n'est pas capable de guérir comme elle le devrait. Elle fait du mal à sa santé. Et pourquoi ? De la nicotine. Tu parles, comme si ça avait déjà fait du bien à quelqu'un.

Aliénor a revêtu un sweat vert oversize, qui tombent mollement autour de son corps fin. Ses cheveux châtains sont retenus en demi-chignon. Un jogging noir recouvre ses jambes, ainsi que des grosses chaussettes en laine rouge et verte. Son attelle enserre toujours sa cheville. Je ne comprends pas pourquoi elle ne porte pas quelque chose de plus flatteur. Sa peau laiteuse ne présente aucune trace de maquillage, rien qui ne la mette en avant.

La jeune femme coince une mèche derrière son oreille en regardant aux alentours. Elle a visiblement senti ma présence. Je me délecte de la panique que je perçois d'elle lorsque je fais encore un pas.

La jeune étudiante s'est donc installée sur le banc, à côté de la fenêtre de l'auberge. Je ne vois personne dans le couloir, personne à travers la porte vitrée non plus. Une nouvelle fois, elle est seule. Beaucoup plus sobre que les jours précédents cependant. La terrasse en latte de bois se prolonge sur quelques mètres dans l'herbe, mais je suis encore dans la pénombre, à l'abri de la lumière de la bâtisse.

Ses iris verts émeraudes cherchent l'origine de son malaise, jusqu'à se verrouiller sur les miens. Un sourire narquois s'étire lentement sur mes lèvres, j'enfonce mes mains dans mes poches et entre sur la terrasse.

— Bonsoir, soufflé-je d'une voix grave en m'approchant encore.

Aliénor se tend, ses muscles se bandent. Elle resserre ses lèvres sur sa clope, prend une profonde inspiration sans me quitter du regard. Tu n'es pas contente de me voir petit alien ? Je m'assoie prestement à côté d'elle, ignorant son regard acéré. Sa jolie bouche s'ouvre, mais pas pour m'accueillir.

— Je t'ai pas invité.

Elle souffle un large nuage de fumée en détournant le regard. Contrairement à moi, elle a la prévenance de ne pas me souffler à la figure. Je souris en calant mon coude contre le dossier du banc, la dévisageant avec insistance.

— Tu n'as pas bu Nell ?
— Comme tu peux le voir, je tiens debout.

Une odeur d'alcool se dégage d'elle. Maintenant que je suis suffisamment proche pour faire le tri dans ce que je respire, je perçois clairement le mélange d'alcool, cigarette, et son odeur à elle.

— Tu es assise.

Mon ton condescendant la fait tiquer. Ses lèvres se pincent et ses pupilles se rétractent légèrement. Elle tourne brusquement la tête vers moi, ses orbes verts m'envoient des éclairs tandis qu'elle se lève brusquement. Effectivement, contrairement aux jours précédents, elle bouge avec agilité et ne manque pas de tomber à chaque pas. J'opine du chef. Bravo petit alien.

— Ne raconte pas à mes amis que tu me connais, enchaîne-t-elle sur un ton glacial, et ne m'appelles pas Nell.
— Nellie ? demandé-je en papillonnant innocemment des yeux.

La jeune femme croise un bras sur son ventre, respire profondément dans sa clope et m'adresse un regard agacé. Elle fulmine en silence, et visiblement, je lui gâche son péché nocturne.

— Mon père connaissait tes parents, ce n'est pas un mensonge.
— Je ne suis pas la prolongation directe de ma mère ou de mon père, rétorque-t-elle avec irritation.

Lentement, mes épaules se haussent dans un geste las. Un point pour toi, mais je ne vais pas te laisser t'en tirer aussi facilement petit alien.

— Tu es là pour combien de temps ?
— Deux semaines et tu seras débarrassé de moi bae.

Un sourire carnassier étire mes lèvres, révélant mes dents lorsque j'entends le surnom qu'elle vient de m'attribuer. Je n'ai pas le monopole des petits noms agaçants alors petit alien ? Je me lève et la rejoins sur la terrasse d'un pas souple. Ses petits yeux me suivent tandis qu'elle s'agite. Visiblement, elle n'arrive pas à déterminer si c'est du lard ou du cochon, si elle devrait tenir son terrain ou s'enfuir.

— Tu m'en vois ravi, répliqué-je avec sarcasme.

La Force de la Nature [PUBLIÉ CHEZ Hlab]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant