26 mai 2020
Son regard descend à nouveau sur ma cheville, qu'il avise pendant un moment qui me semble durer une éternité. Ses deltoïdes se tendent, ainsi que ses trapèzes. Je remarque alors que son oreille droite est percée. Il y porte une créole argentée.
— Quel est ton nom ?
Il pose sa question sans quitter ma blessure du regard. J'expire ma fumée, inspire longuement. Ma bouche me trahit en lui répondant :
— Aliénor Beauchamps.
— Pourquoi tu ne te transformes pas, Aliénor ? demande-t-il d'une voix douce.Ses iris cuivre-vert retrouvent les miennes. Elles n'ont pas le même pouvoir enivrant que celles de son jumeau, mais malgré ça, ma gorge se serre. Pourquoi tu veux le savoir ?
— Ça ne te regarde pas, répété-je.
Je ne sais pas si mes paroles sortent aussi clairement que dans le chaos de mes neurones, parce que le regard de Kalden se durcit. Soit il ne m'a pas comprise, soit je n'arrive pas à articuler.
— Tu as vécu trop longtemps parmi les humains, tu as oublié comment faire ? insiste-t-il.
Une nouvelle fois, son regard tombe sur mon entorse. Je grimace intérieurement. C'est quoi votre problème ?
— Aucun loup ne garde de blessures comme celle-là.
Je crois qu'il va encore s'approcher. Alors je me décale vers la porte dans un mouvement maladroit. Je manque de perdre l'équilibre, grogne et repose ma main libre contre le mur. Kalden n'a pas bougé d'un pouce.
— Tu le fais exprès pour être crédible parmi les humains ?
— Non.
— Pourquoi alors ?Quelque chose passe dans son regard, mais je suis bien incapable de l'analyser. Mes neurones paniquent, les connexions ne se font plus convenablement, et la seule pensée qui ressort de ce capharnaüm infernal est : Arrête de prononcer les putains de mots loups et humains.
Le jeune homme hume l'air ambiant, fronce le nez, et malgré moi, un sourire moqueur s'imprime sur mon visage. Oui, je ne fais pas semblant d'être bourrée. Le loup doit sentir l'odeur d'alcool que je dégage. Il détourne le regard, tandis que sa bouche se tord dans une grimace étrange. Le regard au loin, il glisse une main dans ses cheveux bruns. Mon regard suit son geste. Kalden porte un tatouage sur son avant-bras.
Ma confusion ne me permet pas de déchiffrer le dessin, mais je vois les traces noires encrées dans sa peau.
— Tu n'as pas peur de boire en tout cas, souffle-t-il sur un ton amusé après un long silence.
Je ne vois pas pourquoi j'en aurais peur. Eh puis, c'est une tradition des étudiants en géologie de se mettre la tête à l'envers tous les soirs sur le terrain. Tant que ce n'est pas à en vomir, tout va bien.
Ma cigarette arrive à son terme et trop vite, la froideur de la situation s'infiltre sous ma peau. Je me sens démunie et le sentiment de liberté précédent se transforme en menace. J'écrase le mégot dans le cendrier et avise la porte une nouvelle fois.
Okay, tu peux faire ça Nora. C'est quelques pas et ce n'est pas un loup perturbant qui va t'empêcher de marcher.
Afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs, je garde une main ferme - enfin, autant que possible - contre le mur et verrouille mon regard sur la poignée. Mes sens sont sans dessus dessous, et mon tournis s'intensifie lorsque je fais un pas. Pour me faciliter la tâche, je n'arrive pas à marcher droit. J'essaye de concentrer tous mes neurones sur le mouvement suivant, mais mes cellules en ont décidé autrement.
Ouais, faites tourner la bière sans moi les gars. C'est sympa ça.
Je souffle, mais avant que je n'ai le temps de faire un nouveau pas, deux mains chaudes enserrent ma taille. Mon sursaut ne passe pas inaperçu puisque j'entends son rire contre mon oreille.
— Tu vas y arriver, chuchote-t-il d'une voix rauque.
Un frisson parcourt mon échine, mais je ne suis pas en état de le repousser. Kalden me guide jusqu'à la porte, avec sa prise assurée sur ma taille. Puis il ouvre la porte et me relâche.
— Prends soin de toi Aliénor.
Je rentre dans l'auberge, mais avant que je n'ai le temps de refermer la porte, j'entends le jeune homme ajouter :
— On se reverra.
Okay, that can't happen again.
Ok, ça ne peut pas se reproduire.
Mon dos se cale contre le mur, et le souffle court, j'épie les mouvements du loup. Sa présence m'a étonnamment dessaoulée, plutôt qu'enivrée comme celle de son frère. Je soupire en silence. Ce n'est pas possible.
Ils viennent m'engueuler parce que je mets "en danger" le secret de l'existence de notre espèce, mais ce sont eux qui débarquent avec leurs gros sabots et qui donnent du "loup" et et de l'"humain" à tout va. Heureusement que vous n'avez pas dit "loup-garous", ça aurait été le pompon.
Mais d'ailleurs, c'est quoi votre problème exactement ? Pour l'alpha je sais. C'est l'éternelle histoire de la femelle en liberté qui ne se transforme pas qui le met en colère. Une louve blessée qui plus est, incapable de guérir ou de le flairer, et sans meute. Ça fait vriller ton petit cerveau de macho, pas vrai ?
Et toi Kalden ? Quelle est ton excuse ? Tu devais voir la meuf que ton frère est venu terroriser ?
Je souffle plus bruyamment. Mes neurones se connectent et mon esprit se met en branle. Je réfléchis à une stratégie. Je ne peux pas continuer à me faire surprendre par des loup-garous arrogants tous les soirs. Mais si je réduis ma consommation d'alcool, ma promo va le remarquer. Eh puis, j'ai envie de boire aussi.
Ma main glisse dans mes cheveux, les ramenant en arrière tandis que mes cellules carburent. Je dois me protéger d'eux, un minimum au moins. Je ne vais pas arrêter de fumer en solitaire et certainement pas arrêter de boire, mais je vais réduire les quantités. Histoire de pouvoir marcher droit toute seule, et que Moster ne se permette plus de poser ses sales pattes sur moi.
Oui, ça doit pouvoir fonctionner.
Mon sourire d'escroc revient sur mes lèvres. C'est la meilleure solution que je puisse trouver pour l'instant, je verrais ce que j'en pense lorsque je serais sobre, mais ça me semble pas mal du tout. C'est dans cet état d'esprit que je retourne dans le salon, pour continuer les jeux d'alcools avec mes amis.
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La Force de la Nature [PUBLIÉ CHEZ Hlab]
Werewolf« On ne peut pas s'éloigner de soi-même. » Aliénor « Nora » Beauchamps, jeune étudiante en géologie, part pour deux semaines d'expédition dans les Alpes provençales. Le voyage d'études de la jeune femme et le secret qu'elle abrite se trouvent bou...