28 mai 2020
Paolo grimpe prestement contre la paroi rocheuse. Je grince des dents, cet affleurement ne me semble pas stable du tout et je lui ai dit de ne pas aller chercher de cailloux. Mais il ne m'a pas écouté.
La pluie est battante et j'ai vraiment peur qu'il provoque un éboulement. Je n'ai pas envie de voir des roches tombées sur lui. Le jeune homme s'approche du conglomérat³, prend appui d'une main sur un gros morceau de roche. Je frémis en le voyant perdre l'équilibre, mais il se raccroche rapidement contre la paroi. Paolo plante son marteau dans le liant⁴ plus moux et se tourne vers Théo.
Eléa, prostrée sous son parapluie, est dans la même état que moi. Elle s'écrit soudain :
— Reviens Paolo, on repassera quand il pleuvra moins. C'est débile de risquer ta vie pour ça.
Toutefois, le regard du jeune homme cherche Théo. Elle analyse la situation d'un œil sceptique, mais semble approuver la démarche de notre ami malgré nos protestations. Je franchis les pas qui nous sépare et attrape la poignée du parapluie qu'elle soutient au-dessus de sa tête. Enfin, la pluie infernale cesse de cogner contre la capuche de mon K-way.
— Dis-lui de revenir, il n'écoute que toi aujourd'hui.
Ses iris canelles se tournent vers moi. Elle lève un sourcil, puis reporte son attention sur le jeune homme.
— On a besoin de cet échantillon.
— Mais c'est pas prudent. Regarde, la pluie a gorgé toutes les marnes d'eau...Je contiens un cri en voyant Paolo trébucher.
— Reviens ! insiste Eléa.
Nous avons observé plusieurs lithologies² dans le conglomérat³, avant que la pluie ne commence à tomber averse. Et il est vrai que ce serait intéressant d'avoir un morceau de chaque pour les examiner ce soir. Mais ça ne vaut pas la peine de blesser Paolo.
— Je l'ai !
L'inconscient agite un morceau de roche avec fierté, puis amorce une descente. Heureusement, il n'est pas monté trop haut. Mais le terrain est glissant. Je me crispe en le voyant encore manquer de tomber par terre. Il se réceptionne in extremis sur le sol devant l'affleurement¹ et enfin, je peux respirer librement.
— Ne refais jamais ça, soufflé-je avec agacement.
Je quitte le confort du parapluie de Théo et rejoins celui d'Eléa. C'est elle la responsable de la carte aujourd'hui, j'ai besoin de savoir où on va ensuite.
— Eh, pour être géologue il faut être un peu aventurier, proteste le jeune homme.
— Aventurier peut-être Paolo, mais pas inconscient, fulmine Eléa en ouvrant la carte sous le parapluie.La protection est relative puisque bien vite, des gouttes tombent sur le papier. Je repère d'un œil expert notre localisation et la marche à suivre. Mon amie gribouille rapidement le symbole des conglomérats³ avant de replier le plan. Heureusement qu'elle n'est pas trempée.
Je soupire d'agacement en regardant la route. Nous sommes au bord d'un chemin de terre détrempée. La boue formée par ce temps alourdit nos chaussures, ce qui n'est pas l'idéal pour continuer à crapahuter pendant encore trois heures...
En redressant les épaules, et en prenant une grande inspiration, je décide de prendre sur moi. Alors j'ajuste mon sac et ma capuche et ressors sous l'averse.
— Allons-y, soufflé-je.
Tout le monde m'emboîte le pas lorsque je me dirige vers la montée. Nous devons atteindre le sommet de la petite montagne aujourd'hui, puis redescendre de l'autre côté pour rejoindre le point de ralliement avec Faustine. C'est elle qui vient nous chercher ce soir. C'est loin d'être l'idéal de travailler dans ces conditions, mais ce n'est pas comme si j'avais le choix.
Très vite, la respiration lourde de Paolo se fait entendre à mes côtés.
— T'énerves pas.
— Si tu te casses la jambe la prochaine fois, ne comptes pas sur moi pour t'aider, grogné-je, avec amertume.
— Tu le penses pas.Du... désespoir transparaît dans sa voix. Je risque un regard vers lui et en effet, son expression est tendue. Il attend visiblement ma réponse avec appréhension.
— Je te casserai la deuxième, rétorqué-je alors.
Un petit sourire se dessine sur ses lèvres. Je vois ses épaules se relâcher tandis qu'il tire sur sa capuche, comme pour protéger son visage des trombes d'eau.
— C'est Eléa qui est en colère, tu devrais aller lui parler à elle.
Mon ami opine du chef, mais avant qu'il n'ait le temps de se retourner, j'ajoute :
— Dis-lui que je l'aiderai à cacher ton corps si elle veut te tuer.
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Affleurement¹ : zone où les roches affleurent, ça veut dire sont visibles à la surface de la Terre
Lithologie² : nature des roches, ça veut dire quel type de roche (ex : granite, marbre, calcaire, etc.)
Conglomérat³ : roche formée par des fragments de roches agglomérées
Liant⁴ : fraction fine d'un conglomérat, partie de la roche qui colle les fragments de roches ensembles
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La Force de la Nature [PUBLIÉ CHEZ Hlab]
Lupi mannari« On ne peut pas s'éloigner de soi-même. » Aliénor « Nora » Beauchamps, jeune étudiante en géologie, part pour deux semaines d'expédition dans les Alpes provençales. Le voyage d'études de la jeune femme et le secret qu'elle abrite se trouvent bou...