27 mai 2020
— Donne-moi le marteau.
Eléa s'exécute et me tend l'objet en me dévisageant. Il est presque midi, Romain nous a quitté pour rejoindre un autre groupe et nous approchons d'un petit village. Paolo espère y trouver une table de piquenique pour pouvoir manger plus confortablement. Il est vrai que ça ne me dérange pas de manger par terre, mais il a plu et le sol n'a pas encore eu le temps de sécher.
Je remonte mes manches et avise le rocher avec concentration. C'est une nouvelle lithologie¹ et nous avons décidé d'en prendre un morceau pour le montrer aux profs ce soir à l'auberge. J'évalue la force qu'il va me falloir et assène un premier coup sur la paroi rocheuse.
(NB : idem, les termes sont définis en bas de page 🤍)
— Okay, il est dur.
— Pas étonnant vu la finesse des grains.Théo marque un point. Cette roche est très compacte. Je réitère le mouvement et cette fois, je sens un morceau de cailloux bouger. Je frappe à nouveau et un bout éclate. D'un geste fluide, je le ramasse, fière de moi.
— On le numérote et on rejoint Paolo ?
— Yes, répond Eléa.La jeune étudiante fouille dans sa poche, prend l'échantillon dans ma main et écrit le numéro cinq au marqueur. Puis elle range le tout dans une poche de son pantalon de terrain.
Notre ami est parti devant, en éclaireur. J'ai relevé mes cheveux en chignons. Mon carré long ne me permet pas de faire beaucoup mieux. De toute façon, ma coiffure est humide à cause du temps et plusieurs mèches sont tombées devant mon visage. Je les ai coincées derrière mes oreilles. J'ajuste mon sac sur mon épaule avant de suivre les jeunes femmes.
La matinée n'a pas été très fructueuse, si ce n'est pour la découverte actuelle. Les choix que nous avons fait n'étaient pas les plus pertinents, mais nous avons décidé les conserver pour cet après-midi. Peut-être que l'autre côté de la montagne sera plus intéressant.
La manche de mon K-way retombe sur mon bras alors que nous entrons dans le village. Une odeur légèrement épicée ravive de vagues souvenirs de mes soirées de terrains. Mais nous sommes à plusieurs kilomètres de l'auberge, aucun risque de croiser des loups ici. J'observe néanmoins les maisons d'un œil suspicieux.
C'est un village classique des Alpes, des maisons en calcaires et quelques-unes en granite. Le genre de bâtisse qui donne le sentiment de pouvoir survivre à tout ce qu'il pourrait se produire. Les toits noirs sont très jolis et l'eau glisse gracieusement dessus. Il n'y a que quelques rues dans ce lieu, ainsi qu'une mairie.
And that's it.
Et c'est tout.
C'est pour ça que je tique en ne trouvant pas Paolo. Qu'est-ce qu'il fout ?
Eléa et Théo réagissent comme moi. Mais elles repèrent une table sur une minuscule place, coincée entre un arbre et le mur de la mairie. Du gravier rouge, une poubelle et une table en bois. Simple. Je leur emboîte le pas quand elles s'y dirigent.
Le bois est imbibé d'eau à cause de la pluie. Mais je commence à y être habituée, donc ça ne me dérange pas quand je m'assoie. Je fais glisser mon sac de mon épaule et le pose à côté de moi. Théo s'installe en face de moi et Eléa à ma droite.
— Où est...
— Eh les filles ! s'exclame la voix forte de notre ami.Il nous fait des grands signes de la main, un peu plus bas dans la rue. Comment on a pu le rater ? Le jeune homme nous rejoint en courant, tandis que je me crispe un peu. Je vois la raison de son retard et ça ne me plaît pas du tout.
Donc tu me suis partout maintenant ?
— Je suis tombé sur des jeunes qui habitent dans le coin. On a discuté un peu, ils ont l'air sympa, s'émerveille Paolo.
Je ne fais aucune remarque, le regard cuivré de l'alpha me crispe autant qu'il me perturbe. Tu le fais exprès, en fait ? Du coin de l'œil, je le vois rentrer dans une maison. Paolo s'installe à côté de Théo, toujours aussi souriant.
Mon ami est caractérisé par sa capacité à être joyeux en toute circonstance et à voir le bon dans les gens. Théo sourit en coin tout en fixant le jeune homme.
— C'est qui ? demande Eléa.
La jeune femme a déjà sorti sa nourriture. Elle déballe son sandwich et croque dedans. Son regard interroge Paolo, qui est en train de sortir son piquenique.
Je croise les jambes et prends une gorgée d'eau dans ma gourde. Le repas du jour est un sandwich, végétarien pour moi, un mini-paquet de chips, un morceau de comté et une pomme. Je mâche mon sandwich en silence tandis que Paolo commence à nous faire le récit de sa rencontre.
— Ce sont des jumeaux, ils ont vingt deux ans ! Ils viennent de Pau, mais le boulot les a amenés dans le coin.
— Ça fait une sacrée trotte quand même.
— Ouais je sais, j'ai pas eu le temps de creuser, me répond-t-il en me fixant. Ils m'ont dit qu'ils te connaissaient Nora.Mes lèvres se pincent, je m'oblige à ne rien laisser transparaître de ma surprise. Alors je pose un coude sur la table, me redresse et dévisage Paolo. What now ?
Eh puis quoi encore ?
— Ils m'ont dit que tu ne t'en souviendrais pas forcément, mais ce sont les fils d'amis de tes parents. Kyan Moster, ça te dit rien ?
Donc vous mentez, mais me laisser la possibilité de nier ?
Prise de court, mes lèvres restent scellées. Pour gagner du temps, je prends une nouvelle bouchée de mon repas et détourne le regard. Le nom qu'il vient d'énoncer me rappelle quelque chose, effectivement.
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Lithologie¹ : nature des roches, ça veut dire quel type de roche (ex : granite, marbre, calcaire, etc.)
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La Force de la Nature [PUBLIÉ CHEZ Hlab]
Lobisomem« On ne peut pas s'éloigner de soi-même. » Aliénor « Nora » Beauchamps, jeune étudiante en géologie, part pour deux semaines d'expédition dans les Alpes provençales. Le voyage d'études de la jeune femme et le secret qu'elle abrite se trouvent bou...