» 𝐄𝐏𝐈𝐋𝐎𝐆𝐔𝐄

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i'll love you, until kingdom come

« Au dénouement, lorsque la tombe reprend sa proie, et que Giselle disparaît sous les fleurs, elle a été très attendrissante et fait naître une émotion que les ballets ne causent guère

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« Au dénouement, lorsque la tombe reprend sa proie, et que Giselle disparaît sous les fleurs, elle a été très attendrissante et fait naître une émotion que les ballets ne causent guère. »
Théophile Gautier, Le Moniteur Universel, 14 mai 1986.

Une lumière blanche traversait par endroit les nuages qui couvraient le ciel et éclairait le piteux parquet. Joohyun fixait le rayon qui perçait le tissu translucide de sa robe. Assise sur ce fauteuil rougeâtre usé par le temps, elle faisait balancer ses pieds dans l'air dans un mouvement de va-et-vient. Après une cinquantaine d'années d'agonie surhumaine, de vile solitude et d'éternelle mélancolie, elle allait être enfin libéré de ce fardeau. Après avoir souffert le martyre pour la belle Seulgi et s'être faite voler son âme par son incontrôlable désespoir et accablement, sa douleur allait enfin s'étouffée dans cette obscurité qu'elle attendait tant. Elle aurait pû verser quelques larmes de réconfort, discernant malgré ses émotions qui avaient sombré dans un vaste oubli, une frêle étincelle de soulagement, peut-être de joie. Mais depuis que son corps n'était qu'un vulgaire cadavre enterré dans un cimetière quelconque tandis que son esprit restait emprisonné dans les murs de ce maudit château, les traits de la demoiselle étaient endormis dans un flegmatisme glacial.

Joohyun perdit d'autant plus toute lueur d'humanité quand sa fidèle Yerim dut la quitter, cinq ans plus tôt. Les fameuses cinquantes années venaient de s'écouler pour elle et elle partit avec un sourire béant rayonnant sur son visage. Chaque parcelle de son corps s'était envolée dans l'air, délicatement, gracieusement, lentement et avec tendresse. On eût dit de petits papillons aux tons pastels qui laissèrent finalement derrière eux une fleur de lilas, d'un violet clair et élégant. Elles s'étaient tenues compagnie durant la bonne majorité de leur malédiction et il est vrai que la présence de Yerim avait mis quelque peu du baume au cœur de Joohyun par moment. Néanmoins, l'adolescente sut qu'elle ne pourrait jamais aplanir l'horreur et la souffrance qui secouait sans cesse la jeune femme. Tandis qu'elle fut un esprit juvénile assez espiègle, Joohyun, elle, portait ce masque fermement impassible et maussade. La manière morbide dont elle errait quelque fois dans le château vide marquait également une différence entre les deux filles. Mais elles se soutenaient solennellement quand un orage lugubre s'effondrait sur elles et qu'elles regrettaient intensément leur vie d'avant. Elles marchaient régulièrement le long de ce dernier étage délabré, main dans la main, dans un silence apaisant pour elles, horrifique pour autrui.

Quelque fois, (souvent au cœur d'une nuit pluvieuse) elles parlaient de celle qu'elles avaient tant aimée. Yerim décrivait avec une précision enthousiaste tous les moindres détails physiques de Nayeon et Joohyun racontait ses meilleurs souvenirs avec Seulgi. Considérant qu'elle était la cousine de celle qui avait indirectement tiré dans le cœur de son mortuaire binôme, la défunte adolescente à la voix fluette ne manquait pas de présenter timidement ses excuses à la jeune femme. Elle ne comprit jamais réellement comment Seulgi avait pû lui adresser de tels mots, puisqu'elle avait toujours plutôt pensé que cette dernière avait des sentiments pour Joohyun. Mademoiselle Bae déclinait de ce rire sans humour ses paroles et lui assurait que ce n'était pas de sa faute. Pourtant, une larme roulait le long de sa joue blafarde quand elle pensait à sa dernière image de Seulgi. Une expression acrimonieuse peinte sur son visage, des mots baignés dans un ton aigre, un regard violemment apathique. Décidemment, même avec le temps qui, d'après Voltaire, est sensé tout adoucir, rien ne réussit à faire naître un état d'indolence chez Joohyun aux égards de sa moitié.

giselle. seulreneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant