« Ceci est mon royaume, qui pourrait prétendre le contraire ? »
L'être surplombait son assemblée hideuse depuis un immense trône carmin. Tous avaient mis genoux au sol. Tous, sauf un. L'antique entité toisait son vassal. L'homme, grand et frêle au visage recouvert de scarifications, le regardait fixement en contrebas. Il n'avait pas peur de son maître, car celui-ci avait trop besoin de lui. La voix du prêtre de Sigun se fit entendre, hésitante malgré sa confiance assurée.
« Personne, à n'en point douter.
— Non, personne... »
Celui qui régnait en ces lieux avait l'esprit ailleurs. Il semblait regarder fixement le misérable qui se tenait devant lui, mais il n'en était rien. Cela faisait bien longtemps qu'il ne se souciait plus de ce plan de réalité. Il repensait inlassablement à l'endroit dont il venait, à son ancienne existence dévouée à la destruction et à la mort. Bientôt, se dit-il. Bientôt, il allait retrouver cette sensation.
« Encore combien de temps ? »
Le prêtre eut un rictus de dégoût. Le ton de son maître était des plus impérieux. Il lui devait l'obéissance, le respect, mais pas son amour ni même son appréciation. Il toisait celui qui aurait pu l'anéantir d'un simple revers de la main. Il n'était pas encore temps de s'opposer à lui, mais l'heure viendrait.
« C'est prêt, votre Majesté...
— Enfin ! »
La puissante entité[1] se leva subitement. Ce n'était pas uniquement par l'emplacement de son trône qu'il surplombait ses servants : il était gigantesque et mesurait bien deux longueurs d'homme. Il leva son visage vers le plafond caverneux de son domaine. Ce dernier avait commencé à se troubler, puis à ondoyer comme l'aurait fait l'eau frappée par la pluie lorsque le Prêtre de Sigun s'était mis à psalmodier ses noires incantations. Quelques fissures se firent dans la roche, filtrant une lumière délétère, pour finalement s'étendre et laisser de larges morceaux chuter au sol, écrasant au passage quelques malchanceuses créatures qui s'enfuirent en piaillant. Le maître des lieux, quant à lui, éclata d'un rire caverneux.
« Je peux déjà sentir la caresse bénie du vent de l'innocence... Que c'est bon ! Bien, sous quelle forme vais-je bien pouvoir leur apparaître ?
— Ils ont un nombre de croyances sans limites. Leur allégeance envers les Dieux n'est pas plus définitive que celles envers leur roi. D'après mes observations lors de mes dernières excursions là-haut, une chose leur procure une peur bien plus intense que toutes les autres craintes qu'ils pourraient s'imaginer : la mort....
— Prodigieuse imbécilité... La mort n'a jamais été une fin en soi. Elle n'est que le commencement de la seule vérité qui compte : l'oubli. »
Souriant toujours avec sadisme, il ferma les yeux. La peau du conquérant se mit à rougeoyer d'une manière intense et finit par s'embraser, dégageant fumées rances et jets de vapeur. Deux orbes de feux illuminèrent ses orbites, et éclairèrent son visage partiellement décomposé. Il descendit les marches lentement et se positionna devant son acolyte.
« Le portail peut rester ouvert combien de temps ?
— Le temps qu'il faudra. J'y ai veillé personnellement. Des milliers d'esclaves prient en ce moment même aux ziggourats[2] afin d'en préserver l'ouverture.
— Hmmm... »
Son regard vint transpercer celui du prêtre. Il ne fallut qu'un instant au renégat pour comprendre son erreur : il n'avait pas voilé ses pensées avec assez de force ! Il essaya de tourner les talons, mais la main de son maître s'enfonça profondément dans son épaule, la lui broyant sans pitié.
« Tu prendras garde à mieux cacher tes idées traîtresses, à l'avenir... Si bien sûr, une autre vie est possible après celle-ci. »
D'un mouvement brutal, il arracha le bras de son félon dévot. Le rictus que le tyran afficha alors ne disparut pas et cela malgré le torrent de sang venant asperger son visage. Sa victime n'émit pas un seul cri, et s'effondra au sol après lui avoir jeté un ultime regard empli de haine. Le bourreau amena enfin le membre encore fumant à sa bouche et en préleva un large quartier. De nouveau, son rire glacial résonna dans son antre. Il regarda vers l'ouverture menaçante crevant le plafond, et d'un bon titanesque, s'extirpa de son royaume.
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[1]Entité : Les entités sont présentes depuis la nuit des temps sur le continent de Dohirun, bien avant que les hommes fassent leur apparition. Ils sont des êtres d'une puissance inquantifiable, et d'un âge inexistant. Ils ne sont pas immortels, mais se considèrent la plupart du temps ainsi. Leur extinction fut soudaine, et remonta bien avant le règne de Doralek. Seules quelques-unes d'entre elles avaient su perdurer après la catastrophe frappant leur peuple. La dernière entité connue fut celle se faisant appeler " Mékimara ". Très peu de ces puissances ont connu une mort définitive, et la plupart d'entre eux ont trouvé le moyen de maintenir leur essence sur le vieux continent à l'aide de cercueil de brozal; un minerai ayant la spécificité d'être un excellent isolant du fluide magique. D'autres ont préféré utiliser leurs dernières forces afin de se réfugier dans une dimension adjacente : le sous-monde.
[2] Les ziggourats sont d'immenses tours parsemant les terres cadavériques du sous-monde. La plupart du temps, ils sont construits au son de la complainte de milliers d'âmes en perdition, assujetties par les entités. Ces monuments sont construits pour plusieurs raisons ; cela peut être pour satisfaire l'égo de certains, accroître la puissance d'autres, de lieux de torture ou de luxure... Dans la finalité, les raisons sont aussi nombreuses que l'esprit des entités est retors.
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Le prince de l'oubli
FantasyRien n'est moins sûr en ce monde que la vie elle-même. Et cette vérité gagne en force lorsque le prince de l'oubli refait surface après des centaines d'années d'absences. Sorti tout droit du sous-monde, cet être malfaisant rongé par la fange et les...