IV.4 L'étoile du matin.

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  S'armant de courage, il descendit pour prendre sur une étagère du salon, un vieux moulin à grain. Il se saisit de l'objet et le retourna pour dévoiler une petite cache visible seulement à l'œil exercé par de fine ligne. Fallor tapa d'un coup sec le coin du moulin à un point bien précis avec la paume de main, ce qui eut pour effet de faire légèrement ressortir le compartiment. Avec précaution, il retira de la cachette une clef. Il la regarda, appréhendant ce qu'il allait faire. Cette clef était pour lui le symbole d'un passé qu'il préférait oublier. C'était le symbole d'un bien sombre secret, qu'on l'avait forcé à enterrer.

   Après avoir reposé le moulin à sa place, il se dirigea d'un pas fataliste à l'arrière de sa demeure afin de rejoindre son atelier de création. Il y alluma une lampe à combustion se trouvant à l'entrée de celui-ci, et alla au fond de la pièce. Il avait toujours éprouvé un immense plaisir à se rendre à cet endroit. Réaliser ces jouets était pour Fallor une satisfaction inimaginable, mais aussi salvatrice. Son père lui avait demandé de reprendre l'affaire après les événements de Gona, voyant son esprit s'éteindre de jour en jour sans en connaître la raison. L'ancien chef de la milice avait alors accepté volontiers, abandonnant les pleurs que son poste amenait à lui faire vivre bien trop souvent, aux profits des rires enfantins. Ce fut le plus beau cadeau de son père, et la meilleure décision qu'il avait prise dans sa vie, avec bien sûr le fait d'avoir épousé Yvèle. Le destin, où tout autre chose s'y substituant, lui avait par la suite octroyé le plaisir indicible d'être à son tour père.

   Fallor arriva finalement devant un large coffre, taillé au cœur d'un palissandre géant. Il s'agenouilla face à lui, caressant sa surface de sa main calleuse. Après quelques instants hésitants, il l'ouvrit de mauvaise grâce. Son visage, déjà grave, s'assombrit davantage à la vue de son ancien équipement. Mais, Fallor n'avait pas le choix, il savait que se rendre dans les marais ne serait pas de tout repos. Il était du genre à croire aux plus vieilles légendes, car c'est ainsi que lui et les membres de la milice avaient pu survivre autant de temps dans ce milieu hostile. La durée de vie au cœur de ces contrées dangereuses était relativement courte pour les voyageurs inexpérimentés, une à deux semaines tout au plus. La faune locale était plutôt encline à la chasse, et un Homme endormi, embourbé dans la vase ou agonisant, s'avérait être une aubaine. Qui plus est, il n'était pas rare de croiser des maraudeurs porcins tout droit sortis des terres de Plurinas, à l'ouest du village. Ces corniauds de cochons étaient stupides, mais avaient tout de même réussi à établir un semblant d'organisation au sein de leur tribu. La royauté de Kériva missionnait régulièrement des 'pisteurs fangeux' afin d'accompagner un ou deux détachements, envoyés pour chasser les groupes un peu trop conséquents de ces singuliers maraudeurs.

   L'attirail était somme toute rudimentaire. Il commença par se débarrasser des habits sobres, mais élégants qu'il portait habituellement, pour revêtir un épais pantalon marron orné d'un large ceinturon noir. Il enfila ensuite des bottes de cuir de la même teinte, une chemise verte feuille ainsi qu'un gambison doulé, rustique, mais résistant. Chacun des ourlets et manches de ses habits, ainsi que l'encolure de la chemise étaient pourvus de tendons de bête, serrant ces derniers à la guise du porteur afin d'éviter toute intrusion extérieure. La dernière pièce qu'il enfila fu des gants de la même teneur que le restant de l'équipement. Fallor se sentit perdu, ainsi vêtu. Cela lui semblait une éternité qu'il n'avait pas eu telle allure. Quelque chose capta son regard dans le fond du coffre. Il s'abaissa et ramassa l'objet en question : un médaillon en argent où une épée y était gravée. Il se rappela alors ses vœux, le moment où il reçut cet insigne en entrant dans la milice. À l'époque, il avait porté ce collier avec fierté. Aujourd'hui, Fallor le regardait avec dédain, puis le rejeta dans le coffre. Les deux dernières pièces manquaient encore, et certainement les plus importantes.

   Il se sentit bien sot, car ces dernières se trouvaient dans la chambre conjugale, cachées au fond d'une armoire trop petite pour eux deux. Fallor prit avec lui son linge, et entreprit de remonter. Une fois dans le salon, il se rendit compte que sa femme ne le connaissait que trop bien, peut-être même un peut trop, se dit-il. Là, posées sur la table, se trouvaient une longue dague ainsi qu'une terne étoile du matin. Yvèle lui avait descendu ses armes en silence, constatant que son époux les avait oubliées. Elle était une femme et une mère formidable, et lui donner toute l'affection qu'il pouvait demander. Mais, elle était également une personne forte et fière, qui cachait avec grand mal sa profonde sensibilité devant son époux. Et, c'est bien pour cela qu'Yvèle avait évité les derniers moments qu'elle aurait pu avoir avec Fallor, le moment de l'au revoir qui, le savait-elle, pouvait bien être un adieu.

   Il s'approcha de la table et se saisit de ses armes, mettant la dague à sa ceinture et contemplant ensuite quelques instants son ancienne arme de prédilection. Un tel ouvrage était rare en cette région. Le manche de la masse d'arme était assez court et fait en bois de gélan[3], qui était l'un des plus résistants de tout le royaume. Une lourde boule métallique venait le surplomber, elle-même ornée de pointes d'un à deux centimètres. Fallor en avait fait l'acquisition à l'époque auprès d'un marchand itinérant. Elle lui avait tout de suite plu de par sa praticité au cœur des marais ; les nombreux arbres de cette zone géographique empêchant une bonne utilisation des armes plus longues. L'étoile du matin fut salvatrice à maintes reprises, là où certains de ses hommes avaient perdu la vie faute à une lame fichée dans un obstacle lors de coups de taille. Quittant ses souvenirs, il s'en saisit et la passa à son tour dans le ceinturon. Désormais, il était prêt. Sans plus attendre, Fallor partit réunir l'ancienne milice afin de découvrir ce qui avait bien pu se dérouler au hameau de pêcheur.

Le prince de l'oubliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant