III Supplique

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La nuit n'était pas finie. Sigun marchait en faisant des allers-retours devant les rares pêcheurs ayant survécu à son raid. Ils étaient tous, sans exception, fort mal en point. Victimes de nombreux stigmates, les morsures et piqûres des servants du Prince continuaient de s'infecter à une vitesse effroyable. Pris aux dépourvus durant la nuit, les hommes n'avaient absolument rien pu faire pour se défendre, la plupart d'entre eux ne réalisant la menace seulement qu'après s'être fait réveiller par la douleur cuisante des mandibules ou dards traversant leur peau. La presque totalité avait péri durant l'assaut rampant et le restant des hommes était sortis en hâte, trouvant le Prince les observant avec un sang-froid à faire frémir la mort elle-même. Le peu de raison qui restait à leur esprit confus, leur avait soufflé que le maître-maux ici était cet étranger qui les toisait sans une once de compassion. Cette même raison, sans nul doute envenimée par la douleur, leur avait intimé l'ordre de se courber devant celui-ci.

Ce qui inquiéta en revanche Sigun, était le fait qu'un des pêcheurs avait réussi à fuir. Après s'être fait mordre par sa favorite nommée par ses soins, Somort, l'homme avait immédiatement pris la fuite en hurlant. Le Prince avait sciemment altéré les effets qu'une de ses piqûres pouvait entraîner, ainsi, le pêcheur ne s'était pas écroulé après quelques minutes comme cela aurait dû l'être naturellement. Non, au lieu de cela, il avait continué sa route vers une destination inconnue, emplit de nombreuses âmes dont une en particulier s'était révélée des plus... intéressantes. Un bref instant, il avait senti cet esprit tant convoité à travers le parasite. Mais cette bonne nouvelle avait son pendant, et désormais, si ces personnes possédaient au minimum un soupçon d'intelligence, ils chercheraient à savoir quelle était la cause du mal rongeant le misérable. Pire encore, s'il connaissait l'être infecté, ces personnes sauraient même où en chercher la source. Sigun ne devait plus perdre de temps. Il était arrivé seul en ce monde, mais ne pouvait pas s'y imposer ainsi. La nécessité pour le Prince était désormais de se préparer à recevoir les quelconques menaces cherchant à l'occire, et pour ce faire, il avait besoin d'une armée. L'entité se concentra sur les hommes gémissants... Ils les savaient prêts à tout pour mettre fin à ce cauchemar. Le Prince s'arrêta devant l'un des six hommes, le surplombant de sa silhouette grande et élancée, et le fixa intensément. Intimidé, le malheureux déglutit et baissa les yeux, sa peau roulant sous l'effet de la nécrose galopante.

« Pra Delek ! »[1]

L'homme trembla de tout son être. La langue qui lui parvenait n'avait rien d'humain, ni même la voix par ailleurs. Incapable de soutenir davantage la présence de son bourreau, il commença à vaciller sous son propre poids, glissant doucement dans l'inconscience.

Sigun eut un rictus de dégout en voyant cela. Comment des êtres si faibles pouvaient désormais dominer ces terres ? La réponse à cette question ne cessait de lui échapper... Mais l'heure n'était pas aux tergiversations. Plutôt que de se polluer l'esprit avec de telles absurdités, le Prince se rapprocha encore un peu de l'homme, l'attrapa par les cheveux et le força à plonger ses yeux dans les siens. Son regard roulait comme le ferait le cœur d'un malade sur une chaloupe par une mer agitée, mais finalement, les deux se croisèrent. Les yeux désormais fixé dans ceux de Sigun, le pêcheur se voyait bien incapable du moindre mouvement.

« Cia Ct'Prot vlas lifjal uma, fa sion pran cina tuelspi. »[2]

Prononçant ces mots telle une incantation d'un âge oublié, le Prince vint plaquer sa main contre le visage de l'homme. Une ramification sous-cutanée, semblable à des veines, partit de la main de Sigun et s'étendit au pêcheur, dont les yeux s'emplirent bien vite d'un noir abyssal. Tressautant sous l'antique puissance, le corps de la victime commença à se faner avant de s'écrouler au sol, aussi décharné qu'un amas d'ossements. Le restant du cadavre fut bientôt recouvert des serviteurs du Prince, qui se précipitèrent pour venir se repaître des miettes que Sigun avait bien déniées leur laisser. Deux autres hommes subirent le même sort, et tandis que les corps se flétrissaient, celui du Prince du sous-monde se reconstituait à vue d'œil. Sa chair cicatrisait peu à peu, et sa peau recouvrait les tendons qui restaient encore jusque-là visibles. Malgré l'instabilité de son essence, il pouvait tout de même continuer à croître quelque temps, et par chance, sa ressource première courait partout sur la surface de ce monde.

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[1] Regarde-moi !

[2] Pour la gloire de votre nouveau roi, tu seras ma première âme.

Le prince de l'oubliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant