VI Gonna

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Il pleuvait à torrents. Le groupe avançait péniblement, leur pas s'enfonçait de plusieurs centimètres dans le sol gorgé d'eau. Cela faisait une demi-journée qu'ils étaient partis, encombrés des sacs qui contenaient une grande tente de fortune dispersée parmi les sept. Fallor marchait en tête de file, muré dans un silence de mort. Le petit brun qui le suivait, sortit une petite plaque de tabac qu'il enfourna dans sa bouche et entreprit de la mastiquer avec force. Il releva la tête, un sourire lui barrant le visage.

— Pt'ain, Fallor ! Ça tombe dur là. Faudrait peut-être penser à monter le camp ?

Gilbrar connaissait déjà la réponse de leur meneur. Il la lui posait plus pour égratigner sa patience que pour obtenir le repos.

— Gil... Ça fait quoi, douze heures qu'on est parti ? Et tu voudrais déjà te la couler douce ?

Fallor continuait d'avancer, et se contenta de jeter un œil mauvais par-dessus son épaule.

— Oh, pardon Monsieur le chef...

Siana se trouvait en troisième position. Elle surveillait constamment à droite et à gauche, chargée de surveiller tout prédateur pouvant les surprendre par les flancs. Quand elle entendit l'échange, elle accéléra le pas pour venir se placer aux côtés de Gilbrar. Ce dernier du lever la tête pour pouvoir la regarder dans les yeux. Elle le dépassait d'une bonne tête, et ses cheveux blonds étaient plaqués sur ses joues, encadrant un visage assez fin pour être qualifié de joli. Le sourire de Gilbrar s'élargit un peu plus lorsqu'il détailla les frusques détrempées de la belle lui moulant ses formes généreuses.

— Gil...continue de me mater de cette manière et j'te coupe la queue avant de te la fourrer bien profond dans ...

— Ou là, ma belle. On se calme. Y'a pas de mal à regarder ce qui est bien foutu en ce monde de brute. Et puis, parlons-en de ma queue. Tu ne disais pas ça la dernière fois.

Siana, à son tour, entrevit ses lèvres pour laisser apparaître la blancheur de son sourire. Elle pencha son visage sur le côté, laissant retomber ses mèches dans le vide. Elle passa sa main sur l'épaule de Gilbrar et le tira doucement à elle. Une fois l'homme en face de lui, son genou remonta avec force et vint s'arrêter dans les bourses de son compagnon. La procession due s'arrêter alors que Gilbrar tomba à genoux, les mains tenant fermement ses bijoux de famille. Il avait poussé un grognement suffisamment fort pour couvrir le bruit assourdissant de la pluie, ce qui fit se retourner Fallor et résonner des gloussements venant du groupe.

— Salope ! Tu me les as éclatés !!!

— La dernière fois, même quand mes lèvres étaient occupées, j'arrivais à te tenir la conversation ! Et la prochaine fois que tu oses me manquer de respect, j'te la coupe. T'as pigé, connard ?

Un colosse vint s'interposer entre les deux. Il était immense, encore plus que Siana qui pourtant était déjà plus grande que la moyenne. Ses cheveux roux en bataille étaient en parfait accord avec sa longue barbe indisciplinée. Fortred posa ses mains sur les épaules de ses compagnons de route, il ne pouvait réprimer le rire que cette situation lui offrait.

— Tout doux mes tourtereaux. À ce rythme nous ne saurons jamais sile village est en danger ou non, vous allez vous égorger avant...

— Ferme ta putain de gueule et retourne bourrer les mioches, lui lança Siana, le ton qu'elle avait employé était aussi glacial que le regard qu'elle lui lancé.

Dolak et Dorm, s'esclaffèrent de plus belle. Tout ce remue-ménage semblait combler le besoin d'action des deux hommes. Dolak remonta les lunettes qui ne cessaient de tomber de son nez busqué. Sa peau mate et sa silhouette maigrelette faisaient contraste avec la blancheur de son complice de gausserie, qui ressemblait alors à un fantôme enclin à l'embonpoint. Seule la Goule était restée en retrait, sans qu'aucune émotion ne soit apparente. Engoncé dans une large capuche noire, il se contentait d'observer en silence.

— Siana... Fais très attention à tes paroles. Tu te rappelles à qui tu parles ?

Fortred avait froncé ses épais sourcils, son visage s'était fermé en un instant. Le géant mit la main sur le pommeau de son épais. La situation pouvait dégénérer en un instant, Fallor le savait plus que quiconque. Il n'en fallut pas plus pour l'obliger à intervenir.

— Vous croyez sincèrement qu'on a le temps pour vos conneries ?! Non, mais regardez-vous, occupé à vous envoyer vos saloperies comme des gamins. Ce n'est pas par gaité de cœur que je suis venu vous voir. Moran ne m'a pas vraiment laissé le choix. Croyez-moi, je me serais bien passé de revoir vos sales gueules, mais c'est comme ça... Alors fermez-là et on se remet en route.

— C'est peut-être Moran qui t'a donné l'ordre, mais ça ne fait pas de toit notre chef pour autant, Fallor...

Gilbar se relevait péniblement, dévisageant celui qui tentait de faire revenir le calme.

— Gil, franchement... Dis-moi, tu t'es marié, je crois, non ? Tu penses que si tout ce qui c'était passé à Gonna venait à s'ébruiter, elle continuerait à partager ton lit ? Vous tous, vous avez vraiment envie que ça se sache ? Fallor prit le temps de regarder chacun des membres du groupe, laissant en suspens sa question. Non, ça m'étonnerait... Moran m'a fait taire, mais je vous aurai brûlé vif moi-même si j'en avais eu la possibilité. On a déjà perdu trop de temps. On y va.

Gilbrar serrait les dents. Le front plisser, il se remit droit avant de cracher aux pieds de Fallor. Il passa à côté de ce dernier et s'arrêta quelques secondes pour lui glisser un murmure.

— Ok chef... Mais fais attention à toi, les marais sont très dangereux. Qui sait ce qui pourrait se passer ici...

Le restant de la troupe suivit Gilbrar, bousculant Fallor au passage et le laissant fermer la file. Cette excursion n'allait pas être de tout repos, il le savait bien. Et la menace de Gilbrar était bien futile. La seule certitude qu'il avait, et cela même avant le départ, était qu'il lui faudrait être des plus prudent s'il voulait éviter d'avoir la gorge tranchée dans son sommeil.

Les heures se suivirent, maussades et silencieuses. Après l'altercation, tous semblaient avoir retrouvé leur aigreur habituelle. La progression fut laborieuse, et la pluie commençait juste à s'arrêter. Fallor avait rapidement retrouvé sa place en première ligne, dégageant à coup de machette les fougèrent qui venaient se mettre sur leur passage, et évitant du mieux qu'il pouvait les terrains mouvants. Enfin la pluie cessa totalement, et c'est à ce moment-là que Fallor arrêta le groupe pour lever le camp.

Le prince de l'oubliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant