II.2 Blague à part

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Il finit de monter les marches, chose qui lui parut interminable. Il s'en voulait d'avoir traîné ainsi le soir ; il savait pourtant que son fils était intenable et qu'il épuisait sa femme la journée. Dès que le soleil faisait mine de se coucher, elle allait se mettre au lit immédiatement et il était ensuite presque impossible de la réveiller. Aussi, ne s'étonna-t-il pas de l'absence de cette dernière. Elle était encore à coup sûr, loin de la terre des mortels. Il le savait, il allait devoir gérer seul cette nouvelle crise... Sans perdre plus de temps, il fonça dans la chambre de son fils, là où il était presque sûr de le trouver.

Il constata avec effroi qu'il avait vu juste. Sumka était bien là, gisant sur le sol. Il resta l'espace d'un instant pétrifié sur le seuil, mais se ressaisit presque aussitôt. Rien en ce monde ne saurait entraver son instinct paternel. Il se rua pour porter secours à sa descendance quand il remarqua un mince rayon de lune rouge se reflétant à l'extrémité de la pièce. Il comprit trop tard ce qui était en train de se passer. Ses pieds vinrent s'emmêler dans un câble tendu à ras du sol. Privé de la liberté de ses mouvements, il fit une inéluctable chute et atterrit tout droit dans le lit de Sumka. En se retournant, il vit ce dernier se relever d'un bond, affichant un large sourire victorieux, et sauter sur son père qui était alors à sa merci.

« Je t'ai eu, loup de malheur ! Plus jamais tu ne feras de mal à la Déesse[1] ! Il sera dit dans les légendes que Barthos[2]; chef de Kériva, aura eu la peau du maudit Vénor [3]! »

Sumka enjamba son père et se mit à cheval sur lui. Il entreprit ensuite de condamner à mort le perfide traître ; et pour ce faire, ce sera la sentence des chatouilles !

La scène était empreinte d'un paradoxal mélange d'émotions ; entre l'innocence, la joie de vivre de Sumka, et la peur léthargique de Fallor, qui s'essayait encore à rassembler ses esprits. C'était là sa plus grande frayeur, celle de perdre ceux qui lui étaient chers. Il perdit bien vite sa retenue envers ce petit diablotin qui lui servait de fils, et se mit à riposter. Il attrapa Sumka par la taille et le souleva au-dessus de lui.

« Petit chenapan ! Feulagre[4] poilu des sous-bois ! » la stupeur était passée et désormais remplacée par de bruyants rires rauques. « Un jour, tu me feras mourir ! Et saches, mon minuscule prince, que Barthos n'est pas le chef mais le roi de notre royaume. Tu as oublié tes leçons d'histoire de Mme. Lop ?

— Non papa... » Sumka se mit à faire la moue. Il savait d'avance qu'il allait avoir le droit à une énième leçon sur Kériva.

« À une époque reculée, les dieux foulaient la terre de nos ancêtres. Parmi eux, vivait et régnait sur les hommes, la Déesse Mékimara. Un jour l'Ordre[5] celui des Loups Blancs mené par le capitaine Vénor, trahit le royaume et se mit en marche vers les tristement célèbres terres du Nord dans le but de rallier l'infect Kilas[6]. La Déesse prit donc immédiatement la route vers la cité-morte de Nécrima [7], où elle donna sa vie pour sauvegarder le royaume des traîtres et du mal. À cette triste époque, le roi en place était l'illustre Doralek[8] qui était ? »

Fallor affichait un sourire malicieux. Il avait parfaitement conscience que son fils n'en avait strictement rien à faire, mais il devait bien lui infliger une punition pour la peur que son rejeton lui avait fait subir.

« Doralek était l'illustre ancêtre de Barthos, je sais, papa...

— Et maintenant, il est l'heure de faire quoi ?

— Pffft... Il est l'heure d'aller me coucher.

— Bon garçon. »

Il le regarda avec toute la tendresse dont était capable un père aimant. Lorsque Fallor se retourna, il vit adossée à l'encadrement de la porte, son épouse, qui les observait avec affection.

Le prince de l'oubliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant