Leake s'arrêta net. Il lui semblait avoir entendu quelque chose. Les secondes qui s'écoulèrent lui paraissaient être une éternité. De nouveau ce bruit, un craquement sec. Son cœur, déjà malmené, ne fit qu'un bond. Il courra comme si Drankalis lui-même était à ses trousses. Le pisteur, dans sa fuite effrénée, perçut encore plus nettement ce terrible son. Il l'avait déjà entendu au cours de ses nombreuses excursions dans les marais : celui d'un prédateur traquant sa proie. Leake le savait, il jouait désormais au chat et à la souris.
Merde, merde et merde ! Il m'a retrouvé ! Je suis foutu ! La planque, c'est ma seule issue... S'il me tombe dessus avant que j'lai rejoint, je suis fait comme un rat. J'pourrais jamais faire le poids, vu comment il a défoncé les autres abrutis.
Leake, continuait, haletant comme un damné, mais jamais il ne pourrait se résigner à subir le même sort que ses infortunés cognards d'aventure. S'il devait mourir, il comptait bien vendre chèrement sa peau en offrant à cette monstruosité tout le mal du monde pour lui mettre la main dessus. Finalement, il vit se découper au travers des branchages et fougères, la lumière lunaire venant se refléter sûr ce qui devait être une fenêtre.
Épronne soit louée ! Promis, je te dédierais une tétée quand tout ça sera fini, si je m'en sors...
Leake émergea furibond du couvert des arbres, conscient que le bruit derrière lui était de plus en plus fort. Il arriva dans une clairière dégagée. Le pisteur se savait ainsi plus exposé, mais de toute manière, la chose l'avait retrouvé rapidement alors que lui-même peinait à progresser.
La cabane, faite de planches d'imputrance, était encore relativement en bon état. Les fenêtres étaient brisées et présentaient au pisteur une gueule acérée de crocs de verre. Mais cela ne le découragea pas. Le salut de Leake ne résidait pas dans le fait de se cacher, cloîtré derrière une porte. Il était déjà venu ici bon nombre de fois et il savait que l'endroit avait une particularité qu'il devait exploiter s'il espérait survivre.
Alors même que Leake approchait du but, un ignoble hurlement lui parvint. Un cri atroce, bestiale, qui figea son sang dans son corps pétrifié. Luttant de toutes ses forces, il trouva le courage de se retourner, lentement... Comme si chaque mouvement qu'il faisait risquait de déclencher l'attaque imminente de celui qui l'avait pris en chasse. Le bourdonnement dans ses oreilles résonnait de plus en plus fort, couvrant ses pensées d'un pernicieux brouillard. Son regard se figea, incapable de battre des paupières, craignant de quitter des yeux la créature qui se précipitait vers lui.
La chose était humaine, nul doute là-dessus. Il ne s'agissait pas de l'être décharné qui avait brisé le cou d'un soldat à main nu. Non, au vu des vêtements de l'homme, Leake reconnut qu'il s'agissait d'un pêcheur, l'une des victimes du monstre. Dans cette clairière, la lune rouge pouvait jouer de sa superbe et venir apporter une clarté au pisteur, suffisante pour qu'il prenne conscience de l'imminence du danger. Encore quelques minutes, et ce truc serait sur lui. Peu importe ce qu'il avait été, en cet instant, il n'avait plus que son apparence d'humaine.
Par tous les Dieux existants... c'est quoi ça !
Leake ne perdit pas un instant de plus. Dans la précipitation, il tourna les talons et courut comme un forçat. Il se rapprochait rapidement de son objectif, de la relative sécurité que la planque pouvait lui offrir, mais plus il forçait sur son corps déjà mis à mal, plus ses sens l'abandonnaient. Soudain, son corps flancha et ses jambes s'emmêlèrent. Le pisteur essaya de garder l'équilibre, mais finit par chuter lourdement en avant.
Pt'ain, Leake ! Fientes de bouzaks ! Relève-toi, ou tu vas finir en terrine à rester là !!!
Le pisteur faisait fi de toutes douleurs dues à sa rencontre brutale avec le sol et se remit debout aussi rapidement qu'il le put.
Il est là ! Il est juste derrière, j'peux entendre ses pas. Chiabrena, j'y suis presque... Encore... un peu... Voilà, j'y suis !
Le pisteur arriva comme un taureau enragé et se rua sur la porte qu'il poussa pour l'ouvrir avant de la refermer le plus vite possible. Il s'appuya contre elle afin de bloquer l'accès du poids de son corps en attendant de se souvenir où la pièce contenant la trappe dissimulée se trouvait. Leake était conscient qu'il n'aurait pas le droit à l'erreur. Cette trappe, il s'en était déjà servi par le passé et il y avait laissé un imposant cadenas lui servant, dans de rares cas, à se préserver de rôdeurs l'ayant remarqué. C'est au moment où il allait se remettre à courir qu'un bruit sourd explosa et qu'un choc énorme lui parcourut le dos. Leake fut projeté la tête en première, mais la porte resta néanmoins fermée. Ce qui essayait d'avoir sa peau venait de tenter d'enfoncer la porte. Aussitôt, il se remit sur pied et commença à traverser la planque à la recherche de la trappe. Il contourna l'immense table de la pièce où il se trouvait en envoyant valser les chaises sur son chemin puis déboucha dans un couloir.
J'ai le dos en charpie, quelle saloperie... J'pense qu'elle doit être sonnée aussi, sinon elle s'rait déjà rentrée. Bon, là, à droite, deuxième porte. Allez, plus vite, Leake ! Tu peux le faire !
Il arriva dans une petite chambre épurée où se trouvait un tronc d'arbre coupé qui faisait office de table de chevet posé entre un lit et une fenêtre. Leake s'avança et se saisit du sommier qu'il tira vers la porte avec la force du désespoir. D'un geste brusque, il le retourna afin de ralentir davantage celui qui le pourchassait, et dévoila ainsi sous le lit, la trappe tant recherchée.
J'ai réussi, j'y suis ! Là-dedans, il pourra pas m'avoir ! Tu m'auras pas eu, crevure !
Au moment où Leake se baissa pour soulever la trappe, la fenêtre vola en éclat et de nombreux bouts de verre furent disséminés dans la pièce et l'aspergèrent. La chose venait de sauter au cou du pisteur depuis l'extérieur et atterrit lourdement sur lui. Ils basculèrent tous deux en arrière, la créature chevauchant l'homme. Elle commença à étrangler Leake, qui sentit son souffle se couper et la panique le submerger. De si près, l'horreur était absolue. Il s'agissait bien d'un ancien pêcheur, mais méconnaissable. Un de ses yeux était crevé, alors que l'autre n'était plus qu'une orbite noire. Un réseau de filaments, noir également, s'échappait de cette dernière, creusant et nécrosant la peau du visage du monstre. Sa bouche était grande ouverte, d'immondes gouttelettes nauséabondes s'échappaient d'entre ses lèvres écumantes et venaient s'écraser sur son visage. Leake pouvait entendre un craquement sec qui émanait de la mâchoire le surplombant. Cette dernière commençait à se distordre, les commissures des lèvres de la chose se déchirèrent et laissèrent tomber un liquide verdâtre sur la peau du malheureux. Alors que ses tentatives pour repousser la créature se faisaient de plus en plus faibles, sa conscience le quittait peu à peu. Il crut discerner, au cœur de ce chaos, de longs appendices qui sortirent du trou béant qui lui faisait face. Comme quatre longues pattes effilées se dirigeant lentement vers lui. Ses forces l'abandonnèrent, et ses bras retombèrent au sol. Lorsque la main de Leake finit sa course, il ressentit une sensation de froid et crut percevoir un léger crissement. Le pisteur détourna le regard de cette vision cauchemardesque pour voir ce qui reposait à ses côtés : il y vit le reflet de la créature. Une lueur d'espoir traversa son esprit presque éteint, et dans un ultime sursaut, Leake se saisit à pleine main d'un large morceau de verre et le planta dans l'orbite vide du monstre de toutes ses forces. La créature, d'une voix plus grave que la nature l'exigeait, poussa un terrible hurlement en portant ses mains bouffies à son visage.
Le pisteur, quant à lui, reprit son souffle en une immense bouffée d'air douloureuse. Il peina à redresser son corps endolori sur ses coudes, et vit finalement la chose s'effondrer contre le mur.
Lytra... je vais pouvoir revoir ta sale trogne...
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Le prince de l'oubli
FantasíaRien n'est moins sûr en ce monde que la vie elle-même. Et cette vérité gagne en force lorsque le prince de l'oubli refait surface après des centaines d'années d'absences. Sorti tout droit du sous-monde, cet être malfaisant rongé par la fange et les...