Entre maintenant la personne toquée des microbes qui commencent son installation toujours très remarquée. Le cagoulé ne bouge pas et continue de fixer le sol. Ma copine agoraphobe se met à respirer de plus en plus fort "je, je suis désolée... J'y arrive pas" et elle file dans la pièce annexe. La thérapeute prend la parole :
"Un grand bravo pour avoir essayé déjà, c'est une belle première étape et peut-être que grâce à elle, ce sera plus facile la prochaine fois. Et bonjour à tous. Je suis ravie de vous retrouver aujourd'hui. Est-ce-que vous seriez d'accord pour commencer la séance par quelques respirations profondes ? Si vous le voulez bien, je vous invite à fermer les yeux et à vous concentrer sur votre respiration. Nous allons inspirer profondément puis expirer tranquillement tout l'air que nous avons dans les poumons. Recommençons ainsi quatre à cinq respirations en gardant les yeux fermés."
J'ai évidemment envie d'ouvrir les yeux pour en profiter pour regarder le cagoulé en détail sans qu'on me voit. J'attends la fin de la deuxième respiration et je me lance, j'ouvre les yeux ! Oh ! Je me retrouve face à son regard qui me fixait déjà. Je suis prise d'un coup de chaud mais je n'arrive pas à lâcher son regard. On continue de se fixer pendant le reste des respirations. Je ne sais plus où j'habite, je ne suis même plus sûre de respirer. Son regard est tellement puissant... Lorsque la thérapeute annonce la fin de l'exercice, il quitte immédiatement mon regard pour retourner fixer le sol. J'ai chaud, ça ne passe pas. Il me fait un de ces effets ! Mais faut vraiment que je me calme, je ne sais même pas la tête qu'il a ! Je ne sais rien de lui d'ailleurs...
Après avoir écouté le debrief de la semaine de la personne phobique des métros, la thérapeute me donne la parole. Je n'ai pas encore repris mes esprits mais j'essaye de donner le change :
"J'ai vraiment tenté cette semaine de me concentrer sur le positif et globalement j'y arrive. J'ai juste l'impression bizarre de me mentir, d'essayer de rouler mon esprit et de lui faire croire à une réalité qui n'en est pas une."
La thérapeute me répond :
"C'est marrant cette façon de voir les choses car oui, c'est un peu vrai ce que tu dis. Mais c'est justement là toute la richesse de l'esprit, il s'agit juste de lui montrer d'autres points de vue et même s'il n'y croit pas pour l'instant, on lui montre et on te montre par la même occasion d'autres manières de percevoir les événements. C'est un bon début. Est-ce-que l'on peut te demander si tu as réussi à te libérer de la personne néfaste qui t'entourait il y a 2 semaines ? Tu as le droit de ne pas vouloir en parler ici."
"Non je peux en parler. J'en suis libérée en pratique car je n'ai pas de nouvelles et je ne cherche pas à en avoir. Mais côté psychique, je sens toujours la déception, la trahison et j'ai toujours du mal avec tout ça."
"Merci pour ta sincérité. On ne cherche pas à étouffer ces sentiments, ils sont là et ils sont les bienvenues car ce sont eux qui vont te servir à te renforcer et à faire plus attention à la qualité de tes prochaines rencontres et à ce que tu donneras de toi."
Nous continuons l'échange riche en bons conseils et nous concluons sur l'importance de persévérer à essayer de voir le positif, à habituer mon esprit à y réfléchir dans toutes les situations et à noter les fois où ça bloque et pourquoi.
La thérapeute regarde à présent le cagoulé qui lui fait un petit signe de la main.
"Tu souhaites prendre la parole maintenant ? Nous t'ecoutons."
"Oui. Je vois que tout le monde s'est livré ici et... et je pense que je peux essayer d'expliquer... Enfin de parler de mon histoire... "
"Prend tout ton temps et livre nous ce que tu souhaites. Sache que tu peux t'arrêter à tout moment, sans explication. Tu es libre ici."
"OK."
Il retire ses gants et je vois ses belles mains tremblantes comme jamais. Il relève délicatement le bas de sa cagoule jusqu'à libérer ses lèvres. Je distingue pour la première fois son cou et sa bouche. Je crois que je ne respire plus à nouveau. Ses lèvres sont... Belles tout simplement. Lisses et rosées... Son cou est musclé et je distingue un tatouage qui dépasse du haut de son t-shirt et s'étend sur une partie visible de sa peau. Je n'identifie pas ce qu'il représente. Il reprend la parole.
"C'est quand même mieux pour respirer comme ça."
Il sourit. Je fonds. Je vois deux fossettes se creuser dans ses joues et je tombe immédiatement sous le charme de son rictus. Mais qui est ce mec !?!?! J'ai envie de lui arracher sa cagoule mais ses mots stoppent mes pensées.
"Je porte tout ça parce que... J'ai peur. Je suis terrifié. Je ne veux permettre à personne de me connaître ou de me reconnaître. C'est trop risqué."
Il marque une pause. Le silence est assourdissant, plus personne n'ose respirer.
"Il y a quelques années, j'étais gamin, comme tout le monde je faisais des trucs de gosse dans ma chambre... Et j'ai entendu des cris. Des cris de femme, des cris de ma mère. Qui venaient du salon en bas. J'ai eu peur, j'ai voulu aller voir et j'ai entendu mon père hurler que j'étais pas là, qu'il m'avait laissé chez mes grands parents. Alors je me suis caché. J'ai entendu des pleurs, des cris et plus rien. Puis j'ai entendu des pas et des voix qui disaient qu'il fallait retrouver leur putain de gosse aussi. Puis plus rien à nouveau."
Je n'arrive pas à croire ce que j'entends. Je suis sous le choc. Il marque à nouveau une pause.
"Je n'ai pas bougé, je ne sais pas pendant combien de temps. J'étais tétanisé."
Un nouveau silence s'installe dans la pièce.
"Je... Je ne suis pas capable de raconter la suite mais ce que j'ai vu en sortant, je ne l'oublierais jamais."
Je vois ses yeux se remplir de larmes. C'est tellement difficile de voir ça, j'ai envie de le prendre dans mes bras. Je n'en reviens pas de cette histoire de dingue...
"Chaque jour, j'ai envie de vivre sans peur mais ces images et les paroles que j'ai entendues me hantent. Je n'ai confiance en personne, je ne veux pas qu'on puisse me reconnaître, je ne sors de chez moi que très rarement. Je n'arrive pas à vivre autrement."
Ses yeux lâchent de nouvelles larmes aussitôt épongées par le haut de sa cagoule toujours sur son visage. J'ai le cœur fendu en deux et je ressens une profonde honte d'avoir exposé mes souffrances qui me paraissent tellement ridicules à côté de son histoire. Putain...
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Charme et Fêlures (terminée)
RomanceJe ne sais rien de lui. Qui est-il ? Qui est l'homme derrière ce regard puissant ? -- Bienvenue dans ma vie, la vie d'une jeune fille avec une maladie invisible : l'hypersomnie idiopathique. Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? Une maladie fatigan...