Chapitre 18 - Discussions

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"Qu'est-ce que tu veux boire ? Plutôt de l'eau, un soda, un sirop, j'ai grenadine ou menthe, ou de l'alcool ?"
"Je vais garder l'alcool pour plus tard, une grenadine, ce sera parfait pour me redonner du sucre."

Il prépare les boissons, attrape un paquet de gâteaux et vient s'asseoir à côté de moi.

"Tiens, mange, bois, retape toi."
"Merci. Merci beaucoup même."
"C'est normal. Je garde le foulard, je suis désolé... J'arrive pas à l'enlever."
"Pas de soucis, j'en vois déjà plus qu'aux réunions du coup j'ai presque l'impression que tu ne portes rien."

Impossible de voir s'il sourit ou pas même si, d'après ses yeux, je pencherais pour un oui. Ses yeux... Quand je les regarde, j'oublie tout. J'oublie que ma tête tourne, j'oublie que je suis chez lui et que c'est gênant, j'oublie de me demander ce qu'il faisait là au moment de ma chute... Ah ben oui tient. C'est quand même une sacrée interrogation ça !

"Je peux te demander... Enfin... Comment ça se fait que tu étais là quand je suis tombée ? Et je t'ai déjà vu en moto je crois bien... Tu... Me suis ?"
"Heu... Oui. Enfin je... Putain tu vas encore plus me prendre pour un taré. Je surveille juste un peu les membres de la réunion. Juste pour vérifier que vous êtes des gens normaux. Que je peux vraiment avoir confiance... Je sais pas si tu peux comprendre... "
"Tu as peur de quoi ?"
"Que vous soyez affiliés aux mecs qui veulent me buter. Mais à part te jeter par terre avec ton vélo, j'ai pas trouvé de quoi m'inquiéter plus te concernant. D'ailleurs, tu disais que tu ne pouvais pas faire de sport en réunion et je te retrouve à faire un malaise sur un vélo, y a quelque chose qui tourne pas rond, non ?"
"Ouais. Effectivement... Le mec de la photo a publié son article et c'est... Ça rassemble globalement tout ce qu'on peut dire comme conneries sur ma maladie et tout ce qui me fait du mal. Et je me suis emballée... Je me suis dit qu'il avait peut-être raison après tout et que je m'inventais des problèmes. Alors j'ai eu besoin de me tester... "
"Hum. C'est fascinant. Comment l'avis d'un seul pauvre gars peut-il autant remettre en cause les avis médicaux que tu as eu ?"
"C'est pas juste lui. Ces mots trahissent ce que la majorité des gens pensent de mes problèmes et de moi."
"Et bien la majorité des gens sont des cons. Et ceux là, tu devrais les éviter. C'est pas facile de comprendre des troubles invisibles ok mais si tu prends la peine d'expliquer et que malgré ça, on te juge, alors c'est très clair, ce sont des personnes à éviter."
"C'est facile à dire. Il ne restera plus grand monde si je fais ça."
"Et ben tant mieux. Ça t'évitera de te mettre à l'épreuve comme t'as fait aujourd'hui ou de venir aux réunions en pleurant sur une vie que tous ces gens te poussent à vouloir au lieu de t'aider à trouver ton propre chemin."
"Je suis des..."
"Ah non, ça va pas recommencer !"
"Non alors juste, merci. Pour ton écoute, pour les gâteaux, le sirop. Merci d'être là malgré les soucis compliqués que tu as de ton côté."
"Ça me change les idées justement."

On a continué à parler comme ça un long moment, de lui, de moi, des réunions. Il m'a fait des pâtes sauce pesto et j'ai même fait une petite sieste sur son canapé après. J'en avais vraiment besoin. Ce que j'ai surtout appris de lui, c'est qu'il était très seul avec ses peurs. Pas de famille ou d'amis pour l'aider à affronter tout ça. Dur.

J'ai adoré passer du temps avec lui même si je dois avouer qu'on ne voit pas du tout la vie de la même façon. Moi j'ai besoin d'avoir du monde autour de moi, même si ce sont des personnes avec de gros défauts, c'est toujours mieux que d'être seule. Pour lui c'est l'inverse, ça ne sert à rien de s'entourer si c'est pour perdre du temps avec des gens qui ne veulent pas que notre bien. J'aimerais penser comme ça mais j'aurais trop peur de ne plus avoir personne près de moi. Je l'ai questionné sur sa solitude mais il la vit très bien. Il m'expliquait que lorsqu'il a envie de sortir ou de contact, il part dans une des villes voisines à la notre, il rentre dans un pub et boit des bières au bar et il termine systématiquement par rencontrer des gens et à passer une bonne soirée ! J'oserais jamais faire ça ! Il donne un faux nom, s'amuse avec les gens et ne les revoit jamais et il est OK avec ça. C'est dingue !

"Mais tu ne peux jamais construire d'amitié ou de relation amoureuse en fonctionnant comme ça !"
"Ouais. Mais j'en ai pas besoin. Les gens finissent toujours par être décevants quand on les fréquente trop. Avec mon fonctionnement, je ne prends que le meilleur et je ne donne aussi que le meilleur de moi."
"Comment ça?"
"Quand tu me connais plus, tu découvres mes peurs, mes angoisses, mon côté compliqué. C'est agréable pour personne donc autant l'éviter."
"Je suis pas d'accord. Ton histoire et la personne que tu es aujourd'hui, ça vaut le coup de la rencontrer pour de vrai et pas juste pour boire une bière."
"Qu'est-ce que tu en sais ?"
"Tout ce que je découvre de toi en tous les cas me donne envie d'en savoir plus, de te connaître plus."
"Ça va passer. C'est l'attrait de la nouveauté."
"N'importe quoi. Y a quand même un beau paradoxe chez toi. Tu dis que tu ne veux être entouré que de gens qui veulent vraiment ton bien mais tu ne laisses personne te connaître..."
"Mmmh. Et toi tu te plains de donner trop et de pas avoir ce que tu voudrais en retour mais tu continues de tout donner de toi au premier connard qui passe."
"Ouais bon... On a tous les deux du travail."
"Sauf que moi, je suis pas malheureux de ma situation."
"C'est pas ce que j'ai ressenti en réunion."
"Mmmh. T'es chiante en fait ! Tu veux pas retomber dans les pommes ?" 
"Haha..." 

Après ces grandes discussions, je n'ai vraiment aucune envie de partir. Je suis bien avec lui mais je me rends aussi compte que je suis là depuis la fin de matinée et que ça fait franchement grosse squatteuse. Je reprends la parole :

"Allez je vais y aller, encore merci pour tout, tu m'as épargné une après-midi aux urgences pour rien."
"Mais, ça va aller pour rentrer? Je peux te ramener si tu veux." 
"Je vais rentrer tranquillement, sans forcer, ça va aller." 
"OK mais je te suis. Au cas où."
"Non mais y a vraiment pas besoin, je te remercie. Et ça va me mettre la pression si tu me suis, je vais pas vouloir me traîner devant toi..." 
"Ah oui, le regard des autres, j'oubliais l'importance que ça a chez toi. Et ben OK mais fait gaffe à toi alors." 
"Promis." 

Sur le chemin du retour, je suis pratiquement certaine qu'une moto me suivait de loin... Mais je suis bien arrivée et je vais pouvoir me poser et réfléchir à cette journée de folie. J'ai tellement de questions à son sujet... Quel âge il a, de quoi il vit, est-ce que je vais bien le revoir, est-ce que je verrais un jour son visage... Tout cela tourne en boucle dans ma tête. 

Charme et Fêlures (terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant