Chapitre 18

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Ma discussion forcée avec l'homme au couteau avait fait scandale, et ce autant chez les policiers qu'auprès de mes parents. Mais bon, ce n'était ni le premier, ni le dernier à mon sujet, alors je me suis laissée faire sermonner d'un regard blasé... Un regard qui m'a d'ailleurs valu dix jours de corvées ménagères. Je n'ai pas bronché : après tout, ça me donnait une nouvelle occupation, mon téléphone ayant définitivement été rayé des possibilités de distractions depuis le harcèlement des internautes et le manque de longs appels à pouvoir passer avec John ( son téléphone étant définitivement déclaré irréparable )...

Ma psychiatre m'avait affirmé que, en lui parlant de tout ce que j'éprouvais, une part de ma colère pouvait être calmée... Jusqu'à maintenant, j'avais pensé que ça serait simple, mais c'est en ouvrant la bouche que je me suis rendue compte que de simples mots ne suffiraient pas à exprimer tout ce que je ressens. L'impuissance, l'inquiétude de perdre ceux que j'aime. La peur de ne pas savoir réellement ce que je suis en train de faire avec John, de ne pas savoir s'il n'est qu'une simple aventure de lycée ou mon futur époux. L'envie de tout quitter, de m'enfuir quelque part où cette chose qui cause des disparitions depuis bientôt un mois ne pourrait pas nous trouver.

Car oui, depuis mon bref entretien avec l'homme au couteau, j'avais de plus en plus de mal à me dire que ce qui tuait tous ces jeunes était humain. Peut-être que je devenais folle. Je doutais de tout le monde, je n'avais même plus confiance en mes propres parents... L'impression qu'ils pouvaient se transformer à tout moment en cette ombre menaçante que décrivaient les policiers. Je devenais peu à peu paranoïaque, exactement comme Éric, et je détestais ça. Déjà que j'avais perdu le contrôle de ma vie, voilà que je perdais également celui de mon esprit...

Je ne l'avais dit à personne, mais j'avais poursuivi mon enquête en secret. Toutes les informations que j'avais sur les disparus, qu'elles proviennent de la police ou de moi avaient été notées à la main dans un petit carnet, que je ne quittais plus par peur qu'on me le vole. Le soir, je le cachais sous mon oreiller quand les policiers qui me surveillaient avaient le dos tourné. Il était dans mon sac au lycée, dans ma poche lorsque je n'avais pas de sac. J'avais l'impression d'être devenue une sorte d'animal craintif, avec pour seul but de survivre, sans parler à personne, en se cachant le plus possible dans son terrier ( en l'occurrence, ma chambre ).

John avait remarqué que ça n'allait pas. Tous les jours, en cours, il me fixait d'un air inquiet. Il est vrai que mes cernes et mon regard de timbrée n'arrangeaient pas les choses... Quant au stress post-traumatique, j'avais de temps en temps l'impression qu'une ombre m'épiait à mon insu, que le parfum de vanille de Daniela flottait dans l'air... ou que la voix de Matt retentissait entre deux couloirs. Tous les jours, nous passions devant son casier, où des tas de fleurs et de photos avaient été déposées pour lui rendre hommage, ainsi que la date de ses funérailles.

En temps normal, n'importe quel caïd du lycée se serait débrouillé pour déchirer les photos, jeter toutes les fleurs dans la poubelle la plus proche d'un air indifférent... Mais, dans cette situation, même les plus gros abrutis semblaient sensibles aux événements. Les professeurs continuaient à nous enseigner leur programme, en nous rappelant de temps à autre à quel point tel ou tel élève tué était doué, motivé ou persévérant dans cette discipline...

Malgré ce quotidien digne d'un cauchemar dont on ne pourrait s'extirper, il y avait un point positif à tout cela : le match de football contre les faucons d'Edison ! Pour une fois qu'il survenait un événement normal, d'adolescente normale au quotidien normal dans ma vie, je ne comptais pas laisser passer cette occasion...

Et c'est ainsi que, samedi, en fin d'après-midi, je me retrouvais devant le miroir de ma salle de bain à essayer tant bien que mal d'appliquer mon gloss sur mes lèvres fines, et ce de manière à peu près propre. Ce n'était pas qu'un simple match de football pour moi : c'était celui où jouait John, où presque tout le lycée serait présent... Celui qui me permettrait enfin de m'amuser, de relâcher la pression de ces dernières semaines.

DISPARUS ( "The Hunt", TOME 1 ) | EN ACTUELLE RÉÉCRITURE  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant