Chapitre 10

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Bien des jours après, Lachlan n'avait toujours pas fait l'honneur de sa présence à son épouse. Et pour cause, en fuyant ses responsabilités pour protéger sa sœur, il s'était mis dans une belle impasse. Il se devait de régler ses quelques affaires afin de retourner là où son cœur le guiderait : chez les deux femmes de sa vie.

Cette histoire de meurtre ne s'était pas affaiblie à Tor Castle. Lady Malise courrait toujours un risque. D'autant plus qu'on lui apprit - en même temps que le retour de son cher Feargus - qu'elle allait être l'objet d'une enquête en vue d'un procès ordonné par l'amant d'Aileas. Le jeune homme criait à la trahison et hurlait vengeance. Aveuglé par l'amour sans doute, il n'avait pas eu peur de menacer verbalement la maîtresse du château de recourir à sa propre justice. Malise n'avait jamais eu connaissance de cet amant, sinon quoi elle aurait joué différemment ses pions.

L'intrigante devait alors établir un plan. Elle devrait être prudente pour ne pas aggraver sa situation. Elle seule connaissait son innocence. Il la lui faudrait donc prouver, et par la même occasion, attraper le vrai meurtrier.

Réfléchissons. Il devait bien y avoir un moyen. Malise ferma les yeux et se remémora tout de cette tragique nuit, depuis l'heure du dîner au retour dans sa chambre en cachette. Elle avait endormi ses gardes avec des somnifères pour ne pas être prise. La belle n'avait donc pas à se soucier de cela, mieux encore, elle pourrait exploiter une nouvelle fois les bienfaisances de son intelligente ruse. Elle affirmerait avoir été souffrante suite au repas et être restée alité toute la nuit, souffrant des mêmes symptômes que ses gardes. Il était donc probable que la nourriture ait été avariée. Et si Malise ne parvenait pas à trouver le vrai coupable, il serait forte aise d'annoncer que c'est également pour cette raison que la jeune servante n'eut pas passé la nuit, sans doute avait-elle une santé plus fragile, qui facilita le progrès du mal. 

Il était d'ordre universel que les meilleurs ragots des châteaux se trouvaient dans les cuisines de ces derniers. La masse de population présente - tous plus ravis les uns que les autres de satisfaire leurs curiosités - était vive et bavarde. C'était pourquoi Malise s'y rendit elle-même, espérant dégoter quelques informations supplémentaires en commandant le repas du Laird.

"Lady Malise ! S'écria l'une des cuisinières. Êtes-vous venue pour moudre le sucre ? Il y a bien longtemps que la maîtresse des lieux n'a pas pratiqué cette tâche, qu'elle seule à l'honneur d'accomplir."
"Hélas non, je passerai une autre fois. Il me faut un repas de ce pas, je le monterai moi-même au Laird."
"Il y a longtemps que le Laird n'a plus honoré les plats de son cuisinier dans la salle commune. Certains disent même que sa maladie lui aurait causée plus de soucis qu'il ne voudrait l'annoncer au clan."

Les Cameron parlaient sur la santé du Laird, son père, et pire même, doutaient du fait qu'il se rétablisse un jour. Malise devait se dépêcher de remettre les choses en ordre.

"Le Laird à faim !" Somma brusquement Malise afin de faire taire la cuisinière qui s'exécuta.

La jeune femme n'aimait guère perdre son temps dans les cuisines mais elle se le devait : les gens étaient bien plus manipulables s'ils se sentaient en confiance et il était de notoriété publique qu'ils en étaient bien plus bavards. Une fois les aliments et la boisson disposés sur un plateau en argent, Malise monta - seule - jusqu'à la chambre de son père. Elle s'assit sur une chaise qui datait de son enfance et regarda le lit vide. Tous les jours, elle venait dans cette pièce et à chaque fois, la même constatation la frappait avec effroi : son père n'était plus là. Elle se revoyait se cacher derrière le guéridon pour espionner son papa travailler à son écritoire.

Lady Malise bu une gorgée de cidre et revint à ses souvenirs. Il y avait quelque part près de la cheminée un passage secret, que son père activait parfois en tournant une pierre sur le côté de l'âtre. Le Laird lui racontait toujours qu'il servait à fuir en cas d'invasion et qu'il donnait sur l'orée de la forêt. Il servirait ce soir à faire rentrer discrètement l'homme envoyé par Hugh Fraser.

Ses doigts fins se posèrent sur ladite pierre et un bruit sourd s'éleva dans la pièce l'espace d'un instant, suivi d'un épais nuage de poussière opaque. Le passage secret se trouvait au fond de la cheminée. Lady Malise nota que le feu devra être éteint. La belle intrigante se saisit d'une torche allumée et pénétra dans le couloir baigné par l'obscurité. Depuis diable combien de temps il n'avait pas été ouvert ? Une éternité sans doute, qui fit éternuer Malise plusieurs fois.

Le passage était sombre et humide, il semblait être habité par toute sorte de fantômes. Les jupons de la jeune femme laissaient sur le sol poussiéreux des sillons de son passage. Elle dirigea alors sa torche vers un mur mouillé et enduit d'une couche d'herbage vert, qui ressemblait fort à de la vase. Plus elle avançait, plus l'odeur se faisait insoutenable. Qui aurait cru qu'un recoin de château était aussi sale ?

Lady Malise marchait depuis une bonne heure lorsqu'enfin, elle aperçut les prémices de sa liberté. Un petit rayon du jour semblait percer la nuit assommante du couloir. Il y avait comme un rideau de feuillages qui masquait l'entrée du passage.

"Parfait." Murmura-t-elle en passant sa tête hors de l'herbage.

Après avoir contemplé le grandiose paysage qui s'offrait à ses yeux, elle tourna les talons et entreprit de faire demi-tour. Dans la noirceur de la cavité en pierres humides, elle revoyait ces arbres qui semblait monter plus haut que les nuages et qui étaient en parfaite harmonie avec le ciel bleu. Bientôt, il serait orné d'étoiles lumineuses. Ce soir sera une nuit inoubliable pour le clan des Cameron, et pour Lady Malise.

Une Dame de Coeur - Tempêtes et PassionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant