Chapitre 15

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"Dans ce cas, vous savez que je n'ai rien à voir avec la mort - très regrettable - d'Aileas." Affirma Lady Malise.

Autant tout avouer avec une gaillarde franchise. Cet homme en savait déjà trop. Elle devait se débarrasser de lui. Mais qui aurait le cœur à abattre froidement son grand-père ? Sans doute l'aurait-elle eu auparavant, mais ses récentes rencontres l'avaient fait évoluer.

"En effet. C'est moi qui l'ai tuée." Avoua Feargus.
"Oh. Et quels étaient vos motifs pour effectuer un tel acte ?"
"Vous. Je vous hais, ma bien aimée enfant."

Le sombre vieillard marqua une pause, qui étonna son interlocutrice. Il avait toujours eu une franche manière d'avouer les vérités, même les plus tristes. Savoir que cela était en fait une façade pour divulguer ses méfaits noyait le cœur sans sentiments de la jeune femme dans un océan de souffrance.

"Un soir, alors que la lune était haute, votre père m'a fait chercher. Il me confia votre garde, en me faisant jurer de prendre grand soin de votre personne. Ce soir-là, il s'est éteint."

Il ferma les yeux une brève seconde comme pour se remémorer le souvenir nostalgique d'un vieil ami. Feargus était donc au courant de la mort du Laird depuis le début.

"Je pensais toucher à mon but. Toutes ces années à rester croupir dans son ombre. Je méritais de lui succéder. Et vous êtes venue. J'ignore vos raisons, Lady Malise. Mais vous m'avez arraché le pouvoir qui m'était dû des mains. Il me tendait des siennes. Il n'attendait que moi. Et vous vous l'êtes approprié. Je voulais vous faire tomber. Reprendre ce qui m'était destiné. J'avais un plan, je voulais vous marier à un homme des Lowlands, que j'aurai payé pour vous emmener loin de chez vous, pour que vous n'aillez plus aucune emprise sur mon clan. Mais vous m'avez devancé en épousant ce... Lachlan. Ma place de Laird venait d'être occupée par un parvenu. Je voulais vous faire tomber, vous faire accuser du meurtre d'Aileas. Mais vous vous en êtes tirée. Je vous ai alors suivie, épiant vos moindres faits et gestes. Et lorsque vous vous êtes sentie en danger, vous avez réussi à simuler la mort de votre père. J'ignore comment vous vous y êtes prise, mais je sais que la voie de dieu n'a pas été votre seule lumière."

"Pourquoi une telle avidité, vaine, pour une place qui ne vous revenait pas de droit ?" Demanda la jeune femme, déterminée à connaître tous les moindres détails de cette affaire.

Le visage du vieillard fut soudainement très sombre. Que cachait-il encore ? Quels secrets taisait-il ?

"Votre grand-père épousa votre grand-mère lors d'un été chaleureux. Ils auraient dû être heureux. Mais cette union était un mariage arrangé, sans le moindre rayon d'amour. La malheureuse refusa sa couche à son mari. C'est pourquoi il s'était entiché d'une servante - ma mère. La suite, vous la devinerez sans doute. Votre grand-père ne reconnut guère l'enfant né de cette union cachée. Un an après, l'épouse légitime tomba enceinte de votre père."

Une rage émanait alors de sa personne d'ordinaire calme. Il jalousait la famille qu'avait eue son demi-frère. Feargus était de ces hommes-là à cacher leurs véritables sentiments. Toute sa vie durant, il avait été aux ordres d'un frère qu'il détestait et qui ignorait sa présence. Comment ne pas devenir amer en pareille situation ?

Lady Malise réfléchit un instant en tapotant ses lèvres rouges avant de prononcer son verdict.

"Il est de mon devoir de vous faire passer au carcan. Je le dois, pour l'honneur de mon clan. Toutefois, il m'est impossible de bannir ainsi l'homme que je considérais comme un grand-père. Partez. De ce pas. Et ne revenez jamais."
"Que direz-vous aux Cameron ?"
"Ce n'est plus votre souci, Monsieur."

Le vieillard hélas, n'aura pas supporté la perte de son très bon ami le père de Malise, et aura plié bagage pour rendre visite à sa famille éloignée dans le fin fond des Lowlands.

"Qu'il en soit ainsi. Abdiqua Faergus. Je m'en vais dignement, la tête haute, en gardant à l'esprit que je vous ai démasqué dans vos sombres entreprises."
"Feargus..." La voix de la jeune femme se brisa.

Il l'étreignit pour la réconforter. La vie était ainsi. On faisait des rencontres, parfois bonnes, parfois mauvaises, mais il fallait continuer d'avancer. Toujours garder la tête haute, et ne pas sombrer. Utiliser tous les moyens possibles pour parvenir à ses fins fut le choix que Malise fit sur le lit de mort de son père pour ne pas se perdre elle aussi.

"Il me faut m'en aller, petite dame." Avait murmuré le vieillard, la voix un peu trop rauque.

Bien sûr, il n'allait pas pleurer devant Lady Malise. Mais malgré ce qu'il venait de se passer, il éprouvait toujours pour cette grande enfant une affection sans limite.
Ils ne se reverraient probablement jamais, ni ne s'écriraient. Feargus comme Malise n'étaient guère doués pour les adieux. Le vieil homme bourru relâcha son étreinte, regarda la jeune femme une dernière fois dans les yeux, et tourna le dos.

La porte se ferma dans un bruit à peine audible. Enfin seule, Malise laissa ses sentiments prendre le dessus. Ses larmes - véritables témoins de son cœur trop déchiré - affluèrent sur ses joues pâles. Ses paupières closes revoyaient encore et encore le moment où il quitta la pièce. C'était comme si le corps robuste du vieillard avait disparu dans les ténèbres du jour à peine levé. C'était comme si l'esprit de la jeune femme avait choisi d'oublier sa chaleur rassurante afin de se protéger. Mais, l'image de cet homme aussi brave que têtu restera pour toujours gravé dans le cœur blessé de Lady Malise.
La belle intrigante inspira un grand coup et expira d'un souffle chevrotant. Voilà qu'elle remit son masque de poupée de porcelaine.

"Finalement, nous étions plus proches que nous ne voulions le croire." Murmura-t-elle comme si le vieil homme pouvait encore entendre.

Mais il n'était plus là, Malise l'avait chassée du château pour le protéger. Il ne resta de lui, qu'une simple fragrance perdue dans l'air le temps de quelques minutes.

La vie était ainsi, aussi belle que cruelle. On perdait un père et on gagnait un grand-père, qui disparut lui aussi pour laisser place à un oncle qui s'envola cédant sa position à un mari.

Une Dame de Coeur - Tempêtes et PassionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant