Malise s'était assurée que personne ne la suivait ce soir-là, avant qu'elle ne pénètre dans le passage secret de Tor Castle. Tout le long de sa marche, elle avait serré son sgian dubh contre elle. Elle lui savait Hugh Fraser dévoué, mais avec des hommes comme lui, rien n'était moins sûr.
Lorsqu'enfin elle sortait du dédale de couloirs sombres, elle marcha aussi silencieusement que gracieusement vers leur point de rencontre. Elle n'avait pas donné comme lieu de rendez-vous à ce vieil ours l'entrée du passage secret. Lady Malise n'était pas aussi bête que cela. Elle savait que Fraser n'hésiterai pas à assiéger son clan afin d'accroître sa fortune.
Le froid ne semblait pas l'atteindre sous cette cape épaisse et confortable. Et malgré une fumée blanche et opaque qui sortait de ses nasaux lorsqu'elle respirait, elle ne fut guère soulagée d'apercevoir l'ombre des hommes cachés de son allié dans les buissons.
"Regardez qui voilà ! Commença l'homme sombre. Malise Cameron."
"Fraser."Lady Malise regarda autour d'elle avec intérêt, mais ni vit rien.
"Où est ma marchandise ?" Demanda-t-elle sèchement.
"Ahah, tu n'as pas changée. Rit Fraser. Nous avons le temps..." Affirma ce dernier en touchant la joue de Malise.Leurs souffles se mélangèrent et leurs visages étaient proches. Ils auraient pu s'embrasser s'ils l'avaient voulu.
"Allons Fraser, je suis une femme mariée à présent."
"Ahahah ! Tu étais moins farouche le jours où tu m'a chevauchée comme une diablesse pour rembourser tes dettes !" Affirma-t-il, faisant rire ses hommes.
"Ou. Est. Ma. Marchandise."
"La récompense d'abord." Susurra-t-il.La belle intrigante décrocha alors une belle bourse bien dodue qui devait contenir une coquette somme.
"Tu pourrais tout aussi bien garder ton argent... Tenta Fraser en frôlant la joue blanche de Malise. Je me rappelle parfaitement bien de l'époque où tu payais mes services en... Nature." Ajouta-t-il en se passant la langue sur ses lèvres.
"L'argent est là." La coupa-t-elle brusquement en lui fourrant la bourse dans les mains pour reprendre ses distances.D'ordinaire Lady Malise aurait couché avec Hugh Fraser pour garder cette somme plus qu'exorbitante. Mais ce soir, elle ne pouvait s'y résoudre. Étrangement, Lachlan, son mari, occupait toutes ses pensées. La belle avait l'orgueil aussi grand que sont hautes les montagnes des Highlands. C'est pourquoi elle refusait catégoriquement de s'avouer que le blond lui manquait. Elle rêvait de ses caresses inavouables, de son souffle brûlant, de sa sueur de viril Écossais ruisselant sur son corps de statue grecque.
D'un claquement de langue sévère, Fraser ordonna à son second d'apporter le colis. Le moins que l'on pouvait avouer, était que Lady Malise ne fut pas déçue. Le capitaine d'Hugh était revenu accompagné de ce qu'elle avait osé appeler "une bouteille de son meilleur vin, de grande taille quoiqu'un peu âgée".
Le vieillard était grand et fin, avec des cheveux grisonnants qu'on voyait à peine à travers l'obscurité de la nuit. Son dos était légèrement courbé de plus, il paraissait sale et mal odorant. Ses frusques semblaient plus âgées que lui, mais il n'avait pas l'air bien méchant. Inoffensif même.
Malise tourna autour de lui comme un vautour chassant sa proie afin de le juger des orteils aux cheveux."Parfait Fraser. Tu n'as pas perdu la main à ce que je vois. Parfait." Murmura-t-elle en plissant le nez tant l'odeur de cet... Individu était abominable. Et voilà que la belle allait devoir passer les prochaines heures de son existence avec lui !
Heureusement, elle s'en débarrassera bientôt, pour le bien du clan bien sûr, nullement pour ses délicats nasaux.
Après avoir réglé quelques formalités d'usage avec Fraser, Malise reprit la route vers Tor Castle avec le vieil homme, tout en s'assurant que son fournisseur ne la suivait pas. Elle ne vit personne.
Bientôt, ils arrivèrent à l'entrée du passage secret. Malise sorti alors son sgian dubh et le pointa vers l'homme. Des sueurs froides perlèrent sur la colonne vertébrale de ce dernier. Il ne connaissait rien de son acheteuse et fut pris d'une peur sans nom. Ses poils se dressèrent sur ses avants bras. La femme qui se tenait droite en face de lui semblait n'avoir rien de compatissant et de tendre en elle. Son regard froid l'envoûtait et le terrorisait à la fois. Le cerveau de l'homme était devenu un vrai livre qu'on commence par la fin. Il revoyait son enlèvement, le jour où il avait demandé à sa femme de l'épouser, celui où son père lui avait offert son premier jouet. Son cœur semblait battre à mille à l'heure et sa respiration devint haletante."Calmez-vous, je ne vous veux pas de mal." Avait murmuré la jeune femme avant de couper son bâillon et les cordelettes qui entravaient ses poignets.
Il l'avait regardé dubitativement en se laissant docilement faire.
"Comment vous appelez-vous ?" Avait-elle demandé.
"Maxwell."
"Très bien Maxwell, suivez-moi."Ce Maxwell. Il ne faisait pas très écossais. Malise espérait que Fraser ne se soit pas abaissé à lui donner un de ses prisonniers anglais, mais en un délai si court, elle n'allait pas exiger remboursement. D'autant que le sort que la belle lui réserverait ne valait pas la peine de sacrifier un Highlander.
Ils entrèrent tous les deux dans la sombre obscurité du passage secret. Le silence était si fort qu'on entendait leurs pas avançant prudemment pour ne pas glisser. Les gouttes d'eau qui tombaient du plafond et qui atterrissaient contre le sol semblaient résonner tout le long du chemin dans un cri cristallin.
"Vous êtes un bon prisonnier. Commença Lady Malise. Je sais que vous mourrez d'envie de savoir ce dont il adviendra de vous, et pourtant, vous ne dites mots."
"Avant d'être prisonnier de cet homme, je fus un soldat missionné - comme tant d'autres - à garder les prisonniers de guerre. Je sais donc ce qu'il est attendu de nous."Un nouveau blanc apparu, que Malise se plut à combler en faisant parler Maxwell.
"Avez-vous une épouse ? Des enfants ?"
"Je me suis marié il y a 30 ans dans le Derbyshire. Nous avons eu un fils, puis une fille. Il marqua une pause dans son récit et continua. Vous savez, la vie n'épargne personne. Je fus né dans les bas quartiers de Londres, ma mère mourut en couche. Mon père, ne l'ayant supporté, se mis à boire et s'endetter aux jeux. Il me fallut donc travailler pour gagner l'argent que mon géniteur dépensa bien trop vite en stupidités. Et dans les heures où je ne travaillais pas, je volais afin de pouvoir me nourrir. Un jour, un gentleman me surprit la main dans le sac et me prit en pitié : ce qui me permit d'être embauché comme jardinier dans son domaine du Derbyshire, où je rencontrais son unique fille. Et quelques années plus tard, malgré la mésalliance, il m'offrit la main de son enfant. Je n'ai jamais compris pourquoi cet homme avait fait cela pour moi, sans doute, appréciait-il ma compagnie ou bien était-il de mauvaise naissance lui aussi. Elisabeth et moi eûmes deux magnifiques enfants, mariés à présent. Il y a trois hivers, ma défunte épouse nous a quitté d'une terrible et foudroyante maladie. C'est là que, ne supportant pas la peine, je me suis engagé dans l'armée d'Angleterre. Vous savez, on peut vraiment dire que j'eus gagné des fortunes lorsque j'eus rencontré mon épouse. Elle m'a tant comblé. Je revois encore son sourire, son élégance... La nuit, j'entends sa voix mélodieuse dans mon sommeil..."Malise ne comprit pas pourquoi le récit de la vie pathétique de ce Tunique Rouge l'émut à ce point. Il semblait alors que le bleu de ses yeux ne fit plus qu'un avec l'obscurité. La torche posait sur ses joues blanches le doux ombrage de ses cils mélancoliques.
"Vous serez riche maintenant. Ce soir, vous serez Laird."
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Une Dame de Coeur - Tempêtes et Passions
ChickLitTor Castle, 1703, Écosse. Malise, fille unique du défunt laird du clan Cameron, trouve un subterfuge afin d'épouser Lachlan Gunn, qu'elle connaît à peine, dans le but de sauver son clan. La jeune femme, qui trempe alors dans de sombres affaires, se...