~ 16 ~ Cécilia

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La lumière vive qui transperce le fin tissu de la tente arrache un grognement à Cécilia. Elle pivote, les yeux fermés, mais la luminosité ne change pas. Dans un nouveau soupir, elle ouvre les yeux. Elle prend quelques instants sur sa couche avant de se lever pour réfléchir à la situation actuelle.

Elle est complètement perdue.

Josh, lui, aurait su quoi faire.

La mention de son frère lui enserre le cœur et lui monte les larmes aux yeux. Elle se redresse et secoue la tête, essuyant ses larmes naissantes d'un revers de main.

Il n'est plus là, Cécilia, tente-t-elle de se raisonner mentalement. Tu dois te faire à l'idée.

La veille, la chute de la branche sur le Prince, les confessions d'Edwina et la complexité de leur problème l'avait chassé de ses pensées. Elle expire un long râle où se mêle sa fatigue et sa peine.

Elle finit par se lever et range ses affaires dans son sac. Sa couche ne veut pas s'enrouler malgré ses multiples efforts. La jeune fille s'énerve contre son matelas avant de tout laisser tomber. Elle tire sur le col de son tee-shirt, remonte ses manches et essuie la sueur qui point sur ses tempes.

L'atmosphère de cette petite tente devient étouffante. Son cœur bat vivement dans sa poitrine, semblant perforer sa cage thoracique à chaque battement. Son regard en détresse glisse vers l'entrée, où les pans sont assez espacés pour laisser glisser un rai de lumière plus crue que la luminosité ambiante.

Cécilia s'y précipite, étouffant dans son habitation. Elle rangera le reste plus tard.

— On n'a pas le choix, s'exclame Shayna, secouant ses longues mèches brunes dans un signe de dénégation.

Cécilia lève la tête et observe curieusement le petit groupe rassemblé autour des braises de leur feu. Elle profite qu'ils ne l'aient pas vue pour s'approcher discrètement et les écouter.

— J'y ai réfléchis, et je ne vois aucune autre solution.

— Mais c'est insensé ! On va se faire tuer !

— Non, pas si on agit plus astucieusement qu'eux.

— Mon Père ne tuerait pas des enfants, c'est un homme bien !

Cécilia attrape le regard exaspéré de Shayna et une esquisse de sourire se peint sur ses lèvres. Elle partage l'avis de la brune sur ce point ; le Prince ne voit pas le mal dans son propre Palais.

— Si vous avez une autre solution, je vous écoute, lâche-t-elle en croisant ses bras sur sa poitrine. Mais je suis persuadée que nous n'avons pas le choix.

Poussée par la curiosité, Cécilia s'approche en faisant le plus de bruit possible pour ne pas les surprendre ; ses pas claquent plus que de mesure sur le sol meuble.

— On n'a pas le choix par rapport à quoi ?

Le regard étonné de Farid se relève sur elle. Elle y voit clairement un bref éclair de détresse. Il échange un coup d'œil avec le Prince et Shayna. Cécilia relève leur discret hochement de tête avant que le jeune homme ne réponde :

— Par rapport à ce qui nous arrive, lâche-t-il. Sans rentrer dans les détails, on doit rentrer au plus vite et pour ça il faudrait rendre le Cerf au château, mais sans donner l'animal au Palais, où ils le tortureront ou ils le tueront.

Cécilia hausse les sourcils et son cœur s'emballe ; toutes ces conditions qui s'accumulent ne sont que des entraves à leur rentrée.

Veux-je vraiment rentrer ?

Il n'y a rien pour elle, dans leur monde. Son frère est parti. Leurs parents ne vont pas subitement s'extraire de leur tombe où ils reposent depuis cinq ans et elle devra fournir des explications quant à la disparition de son frère qu'elle ne peut pas donner. Elle secoue la tête, chassant cette interrogation ; elle aura le temps d'y penser plus tard.

— Shayna propose de rentrer dans le jeu du roi et du Renard.

— Wow, wow, wow, temporise-t-elle en mettant ses paumes devant elle. Pas que je serai contre de te tuer, jeune Prince, mais ça n'avancera pas à grand chose. Je veux dire ; on va faire semblant de chasser le Cerf et semblant de tuer Mathieu?

Le Prince affiche une moue blessée par ses propos et Cécilia rit amèrement intérieurement. Le jeune homme n'est pas capable d'humour.

— J'ai réfléchi à propos de ça aussi. Le Renard veut la mort du Prince et il attend de nous que l'on attrape le Cerf. On sait pas pourquoi, mais ce sont ses attentes. Si on en résolve une des deux, c'est déjà bien.

—  Okay, je te suis. Mais comment on va faire pour rendre le Cerf au Palais sans le rendre ?

Sa question lui paraît légitime, mais elle voit le Prince lever les yeux au ciel discrètement.

— C'est là que ça se complique. Il faudrait le livrer le Cerf puis le délivrer lorsque l'on sait comment rentrer chez nous.

— Alors là, ça devient carrément utopique, ton plan, lâche Farid.

— Mais on a un avantage : on sait ce qu'ils attendent de nous et on a le Prince, qui connaît le Palais.

— Quoi, moi ? Mais moi je ne sais même pas ce que je fais là. Je veux dire ; au milieu d'un groupe d'adolescents qui se prennent pour les héros d'un récit fantastique au cœur d'un complot royal. Mon Père n'a rien à faire avec tout ça.

— Alors il va falloir redescendre d'un ton, monsieur le Prince. Avec nous, vous n'êtes qu'un simple adolescent, d'accord ? Donc pas de ton condescendant, pas de méchanceté gratuite et pas de traitement de faveurs pour votre famille ! On doit étudier toutes les possibilités.

Il croise son regard et le défie un instant, mais elle sait qu'il finira par dévier. Elle a toujours été la plus forte à cette joute visuelle. Lorsqu'ils y jouaient avec Josh, elle remportait systématique la bataille.

Cette fois-ci n'y fait pas exception. Le Prince serre sa mâchoire, mais lâche son regard.

— De toute façon, on n'a pas le choix, continue Shayna. Si on ne fait pas comme si on marchait avec eux, on ne rentre pas. Et on ne peut pas leur livrer le Cerf.

Ils soufflent, désespérés. Cette situation est bien plus compliquée qu'elle n'y paraît.

— Tu as raison, souffle Farid. Ca vaut le coup d'essayer. Mais alors, Mathieu, tu ne dois jamais nous quitter. On ne se sépare pas au risque que tu ne meures assassiné.

Cette perspective semble glacer le sang du jeune Prince qui se fige et dont les pommettes blêmissent. Il hoche la tête, doucement.

— Et on ne peut pas prévenir Edwina, on est d'accord ? Murmure Cécilia. C'est la plus jeune, elle est facilement manipulable et l'a déjà été.

Ils hochent la tête à l'unisson à ses propos.

— Alors nous devons trouver un moyen pour attraper le Cerf, annonce Shayna d'une voix pleine de regrets. 

L'Esprit de la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant