Alors que ses pas s'enfoncent dans la terre meuble et que les branches fouettent son visage et griffent ses bras, la jeune fille fulmine. Les poings serrés, elle laisse ses foulées être un peu plus brutales que d'habitude.
L'image du corps inerte du Cerf, les quatre pattes attachées, est gravée dans ses rétines. Elle grince des dents. Elle n'imaginait pas la capture être aussi violente.
Qu'est-ce que tu pensais ? Qu'il suffisait de demander au Cerf de nous suivre ? ricane-t-elle mentalement.
Elle secoue la tête et se concentre. Ses yeux balayent les environs, fouillent le sol et analysent la largeur des troncs d'arbre. Où va-t-elle trouver une planche assez large pour accueillir l'imposante masse musculaire du cervidé ? Quelle idée a-t-elle encore eue, à les envoyer dans des directions différentes à la recherche d'un élément introuvable ?
Ses pensées l'amènent auprès du Prince, resté avec les chevaux et le Cerf. Elle espère ne pas avoir commis une erreur en lui demandant de surveiller leurs affaires alors qu'ils se dispersaient.
Le cœur battant, elle s'enfonce dans la forêt, où les arbres se font plus denses et les troncs plus larges.
Son regard sombre entrevoit un élément plus clair, au loin. Elle se fige et plisse les yeux. Son cœur loupe un battement lorsqu'elle reconnaît la couleur crème du bois. Une très large planche aux bords dentelées est posée au sol, s'appuyant contre un tronc. Un sourire se dessine sur son visage alors qu'elle se remet en marche.
Ses pas accélèrent avec la joie d'avoir trouvé ce qu'ils cherchaient. Elle se débat avec les buissons qui l'agrippent et se met à courir. Ses chaussures écrasent les quelques feuilles tombées précocement des arbres. Lorsqu'elle arrive près de la planche, la respiration saccadée, elle sourit. Elle est bien assez large pour supporter l'animal.
Shayna se place sur un des côtés et pince la planche avant de tirer. Elle s'arc-boute, plante ses talons dans le sol meuble et tire. Le bois frotte au sol et se déplace de quelques millimètres. Une grimace furtive passe sur le visage de la jeune fille avant qu'elle ne recommence sa manœuvre. Cette fois-ci, elle tire plus fort.
La chaleur l'enveloppe, ses pommettes rosissent et ses bras se tendent, mais elle finit par déplacer la planche. Celle-ci se décoince brutalement et glisse sur le sol avec une facilité qui surprend Shayna. Elle pivote, présente son dos à sa trouvaille et tire encore, les bras derrière. La planche la suit dans un affreux fracas qui fait s'envoler quelques oiseaux peureux.
Parfois, lorsque les troncs se resserrent, elle doit incliner la planche pour qu'elle pense entre les arbres. Son retour est assez tranquille, même si ses bras tendus en arrière commencent à la brûler. Ses muscles ne sont pas à l'aise dans cette position.
Elle laisse son esprit vagabonder alors que ses pas la ramènent au camp. Elle fonde différents scénarios, en fonction du degré de réussite de leur plan. Et si Edwina était de nouveau manipulée par le Renard ? Et si le Prince s'enfuyait ? Et s'il n'arrivait pas à libérer le Cerf à temps ?
Ces questions l'amènent peu à peu à s'en poser d'autres ; comment allaient-ils rentrer chez eux ? Une dernière interrogation comprime son cœur ; veut-elle vraiment rentrer ?
Ces réflexions s'arrêtent là. Sa course vient d'être brutalement ralentie lorsque la planche s'est coincée entre deux troncs massifs. Shayna souffle en se retournant, cherchant à débloquer le bois.
Son regard est attiré par une couleur vive sur les ronces qui envahissent le sol et commencent à escalader l'arbre de droite. Curieuse, elle lâche la planche et s'accroupit. C'est une tâche orange, accrochée aux épines de la plante. Les sourcils froncés, Shayna tend les doigts qui effleurent la matière douce.
Le cœur de Shayna trébuche alors qu'elle se fige. Sa main vient s'enrouler autour de la touffe de poils rougeoyants qui a été arrachée à son propriétaire lorsqu'il est passé par ici. Forçant ses mouvements à être discrets, elle pivote sur elle-même et jette un regard dans son dos. La clairière - le point de rendez-vous - se dessine à quelques mètres de là, derrière d'épais buissons.
Quel animal au pelage roux passerait si près de leur campement ? La respiration de Shayna se bloque dans ses poumons alors qu'elle regarde fixement les poils flamboyants qui appartiennent, sans aucun doute, à un renard. Pourquoi le Renard passerait-il si proche d'eux ? Ne les laisserait-il jamais tranquilles ?
Shayna déglutit difficilement, un mouvement pressentiment au fond du cœur. Elle est encore accroupie lorsqu'un bruissement assez conséquent pour être celui d'une masse importante se fait entendre sur sa droite. Elle y jette un rapide coup d'œil et tend l'oreille. Des chuchotements se mettent à résonner.
Le cœur battant et la gorge sèche, Shayna se relève discrètement, maudissant son genou qui craque, avant de se diriger à pas de loups vers la source du bruit. Les voix s'amplifient à mesure qu'elle se rapproche. Un mouvement derrière un buisson la force à s'arrêter.
Son cœur bat furieusement dans sa poitrine et résonne à ses propres oreilles.
Moins fort, imbécile, ils vont t'entendre, peste-t-elle intérieurement.
Elle approche son visage du buisson, cherchant à voir la scène qui se passe derrière. Celle-ci lui apparaît, partiellement cachée par des morceaux sombres que forment les branches et les feuilles.
Son œil étonné aperçoit deux silhouettes. Une voix hésitante se fait soudain entendre, coupant le monologue du second personnage ; ce timbre clair résonne dans la tête de Shayna avant qu'elle ne réalise qu'elle le connaît. Son cœur accélère et elle déglutit : c'est Edwina.
Ce n'est peut-être pas aussi grave que ça en a l'air...
Que fait-elle encore ? Elle se penche encore, guettant des indices sur son mystérieux interlocuteur. Elle ne voit que deux bottes sombres et un pantalon noir et ample. Un long manteau couleur rousse, dans la même teinte que le pelage du Renard descend jusqu'à ses tibias. Le visage de l'inconnu lui est invisible. Il semblerait qu'il tienne un long bâton de marche. Celui-ci est composé d'un bois très sombre, presque noir, où les veinures rappellent celles des bois du Cerf qui a amené Shayna ici. Le bâton attire Shayna, dont le regard n'arrive pas à s'en détacher. Quelque chose dans les veinures, dans l'atmosphère qui l'entoure, l'empêche de s'en détacher. Une aura obscure paraît s'enrouler autour du bâton.
Shayna secoue la tête, un sourire amer.
Tu vas trop loin.
Elle se relève et note dans un coin de sa tête d'en parler à Edwina. Elle retourne discrètement à sa planche et continue sa besogne en silence, grinçant des dents dès que le bois émet un son trop puissant. Elle ne peut de toute façon pas intervenir dans la conversation, alors autant terminer son travail.
Lorsqu'elle se fraye un chemin parmi les buissons qui cachent leur point de rendez-vous, elle ferme les yeux pour éviter d'avoir des résidus végétaux dans les yeux. Elle s'extirpe des buissons avec difficulté et s'arc-boute pour retirer sa planche. Fière de sa trouvaille, elle se retourne vivement vers le centre de la clairière avant de se figer.
Son sourire s'efface et son cœur loupe un battement. Son regard inquiet parcourt les arbres environnants pour vérifier qu'elle soit au bon endroit. Pas de doute, il s'agit bien de leur clairière ; elle repère les queues des chevaux qui battent les mouches volant trop près de leur croupe au loin.
Sa bouche s'assèche alors qu'elle ne trouve pas un seul indice de la présence du Prince. Il a disparu. Il les a abandonnés. Son cœur tambourine lorsque son regard échoue là où le Cerf devrait se trouver.
Merde.
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L'Esprit de la forêt
FantasyMythomorphia : un pays onirique, où le chaos n'a jamais eu sa place. Shayna, Farid, Edwina et la fratrie Cécilia et Josh sont amenés dans ce monde de légendes à dos de créatures mythiques. Sur ces terres, ils vont vivre une incroyable aventure ; le...