Chapitre 22

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Lundi, 11 septembre 2017

— Alors, où est ton fidèle acolyte ? s'amuse Gregor dont la chimiothérapie a produit des ravages sur ses beaux cheveux blonds.

Son crâne désormais nu luit sous les spots du service hospitalier, et ne souhaitant pas le montrer aux autres, il le cache rapidement d'une casquette dès qu'il prend l'air frais. À l'inverse de ma mère, il n'entretient pas le même rapport positif quant aux réactions symptomatiques des traitements agressifs. Il parait très mal vivre la perte de cheveux ainsi que la perte de poids. Les cernes noirs qui lui soulignent le regard et les rides profondes qui lui marquent le front sont indicateurs des heures sombres qu'il passe.

Même s'il évertue à rester jovial en notre compagnie, j'ai noté à quel point le souci le ronge. À côté de ma mère, il ne cesse de blaguer, de lui cajoler la main ou bien de la complimenter sur sa tenue ou son nouveau foulard. Cependant, une fois qu'il franchit le pas de la sortie, son expression faciale se ternit. Il aimerait que sa fille Katia soit davantage présente à sa rescousse, mais celle-ci se sent tellement impuissante qu'elle l'évite ne préférant pas assister à la chute de son père. Celui qu'elle avait pris l'habitude de surnommer Superman lorsqu'elle était aussi haute que trois pommes.

À ses yeux, il était le plus merveilleux, le plus fort et le plus formidable des hommes. Aujourd'hui, il est devenu un fantôme incapable de soulever une caisse, de déplacer le canapé ou bien de marcher cinq kilomètres sans cracher ses poumons. Quand il m'a confié cela autour d'un café, j'en ai été très attristée. En signe de réconfort, je n'ai pu que lui serrer le poignet en lui affirmant que ce n'était qu'un mauvais épisode dans une vie. Un mauvais épisode qui pourrait lui coûter la vie et la chance de passer ses derniers instants avec sa fille.

Katia est si jeune, et je ne peux que comprendre ses réactions disproportionnées. Aucun enfant ne devrait affronter des moments aussi douloureux. Elle voudrait être comme tout le monde, avoir une adolescence normale et ne pas passer le week-end chez l'un de ses parents dont la vie ne tient plus qu'à un fil.

Malgré la colère qui la dévore, les remords la tourmentent. Elle délaisse la seule personne qui la conduisait à ses compétitions de volleyball, celle qui lui remontait le moral autour d'un hamburger lors d'une défaite écrasante et celle qu'elle aime plus que tout au monde.

— Le vétérinaire devait passer à la ferme pour un petit contrôle de routine. Deux de ses génisses sont pleines, et les naissances ne seront tardées ! lui réponds-je avec un grand sourire.

Ainsley a conclu du petit doigt la promesse que si l'un des veaux montrait le bout de son museau, il m'appellerait sans plus tarder. Je meurs d'impatience à l'idée de voir les petits, et surtout de leur donner le biberon ! Nous ne connaissons pas encore les sexes des petits que nous voulons garder secrets jusqu'à la révélation ultime, mais pour blaguer, nous avons déjà dressé une liste de prénoms. L'affaire ne fut pas mince puisque cette année deux mille dix-sept se trouve être l'année des noms commençant par la lettre N.

Pour ma part, j'ai sélectionné pour un mâle, Norbert et pour une femelle, Nelly. J'avoue que ce prénom féminin ne fut pas choisi au hasard et fait effectivement référence à Hillary, ce dont Ainsley s'est bien marré. Jamais il n'avait eu à penser qu'il attribuerait peut-être un jour à l'une de ses bêtes le surnom affectueux dont j'affuble Hillary. En ce qui concernent les prénoms que lui a placés dans sa liste, ils sont tout autant ridicules. Quel veau aimerait s'appeler Nostradamus ou Nymphaea ?!

— Quand est prévu le terme ? s'enthousiasme-t-il, les yeux brillants d'excitation.

— Selon les dires d'Ainsley, la gestation chez la vache dure approximativement neuf mois et sept jours. Il a déjà noté le gonflement des pis. Normalement, les petits devraient naître dans la semaine.

Victoria Falls (T2 de Thistly Heart)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant