Chapitre 11

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Lundi, 24 juillet 2017

Ma tête se balance aux rythmes saccadés de la musique, en même temps que mes mains rencontrent mes jambes nues. Ma bouche s'étire en un énorme sourire avant de s'ouvrir et d'hurler à l'unisson les paroles de la chanson qui passe en ce moment-même à la radio. Ma voix affreusement fausse est rejointe par celle du conducteur qui ne se fait pas prier.

Ses paumes, qui entourent le volant, le martèlent provoquant un coup de klaxon qui me fait pouffer. Heureusement, il n'y a personne sur la route à cette heure-ci. Personne pour voir dans quel état nous sommes. Un état qui s'apparente à de la folie.

I think there's something you should know

I think it's time I told you so

There's something deep inside of me (1)

Ma mère, qui est assise à l'arrière, ne cesse de nous réprimander et nous demande de nous calmer ; mais comme deux enfants, nous lui désobéissons.

Les émeraudes d'Ainsley rencontrent les miennes, qui sont tout aussi rieuses et l'incitent à pousser davantage la chansonnette avec moi. J'approche ma tête de la sienne et lui crie les paroles au visage, prenant un grand soin à rapprocher mes lèvres des siennes. Son souffle, qui me fait humer l'odeur de son dentifrice, se répercute sur mon épiderme tandis qu'il met plus d'ardeur dans les paroles.

All we have to see

Is that I don't belong to you

And you don't belong to me

Freedom freedom freedom

You 've gotta give for what you take (2)

Ma peau se recouvre de frissons de bien-être. Je sens toutes les tensions, avec lesquelles je m'étais levée, s'évanouir. Je repose mon attention sur la route, en intimant au conducteur de faire de même s'il ne veut pas qu'on atterrisse dans le bas-côté.

D'un geste de la main, je réunis mes cheveux sur le sommet de mon crâne et les attache en un chignon, plus que décoiffé par le karaoké improvisé et l'heure plus que matinale. Faisant mine de vérifier un maquillage plus qu'absent, j'abaisse le pare-soleil et observe la tête de ma maternelle dans le mini-miroir.

Elle se retient d'afficher un rictus à nous entendre fredonner depuis notre départ. Pourtant, au moment où ses pupilles rencontrent les miennes, elle secoue la tête amusée et décide finalement de s'impliquer. Ses lèvres se mouvent pour mon plus grand plaisir et sa voix s'empresse de se joindre aux nôtres.

Au même instant, des doigts chauds me surprennent en se posant dans ma nuque. Rassurants, ils massent énergétiquement les muscles tendus. Mes paupières se closent, tandis que des frissons me parcourent. Mes dents se plantent dans ma lèvre inférieure, empêchant le gémissement de plaisir de surgir à tout moment. Ce massage me fait tellement de bien, alors que, ce matin, j'appréhendais encore la visite hebdomadaire.

C'est officiel. Je déteste le lundi, jour de chimiothérapie. Je le maudis de toutes mes forces et espère chaque fin de semaine que le jour, qui suivra, ne sera pas le premier de la semaine. Je prie pour qu'on passe du dimanche au vendredi en un claquement de doigts, mais force est de constater que le jour dominical est malheureusement toujours succédé par la pire journée de la semaine. Et dire que je me plaignais lorsque j'étais au lycée !

Mon corps se contracte tout entier sous le poids mes pensées sombres, et la pression des doigts s'accentue pour m'inciter à lâcher prise. Ma tête se tourne vers le bienfaiteur, qui a toute son attention reportée sur la route et qui tient d'une main le volant.

Victoria Falls (T2 de Thistly Heart)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant