Chapitre 4

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Mardi, 11 juillet 2017

Finley me passe timidement les assiettes que j'essuie tout en musique. Le poste de radio fonctionne, maintenant que la clientèle a principalement déserté le pub. Ma mère attache une grande importance à ce que les personnes puissent déjeuner dans un calme olympien et puissent discuter entre elles sans être perturbées par le bruit incessant d'une musique en fond. À vrai dire, ce calme est plutôt apprécié et les personnes viennent majoritairement chez nous pour pouvoir manger et boire dans une ambiance conviviale. En parlant de ma mère, elle est épuisée par la chimiothérapie qu'elle a reçue la veille. La nuit passée a été désastreuse. Je n'ai quasiment pas fermé l'œil de la nuit mais je tiens bon. Mon corps reste debout, mes gestes sont certes lents et mes paupières papillonnent. Je me retiens de bailler alors que ma mère, attablée et épuisée, me regarde depuis le pub. Piteusement, je lui souris tout en me demandant si mon sourire aussi ne paraît pas trop fatigué mais vu l'état de ma mère, elle s'en aperçoit à peine.

Dis, Finley... qu'est-ce qui t'a poussé à postuler ici ? l'interroge-je pour ne pas dormir debout.

Le jeune serveur s'empourpre, étonné que je m'adresse à lui. J'ai la sensation que je l'intimide. Je ne suis pourtant pas des plus méchantes. Toujours polie et aimable avec lui, je le suis. J'avoue que parfois, je suis un peu sèche. Je n'ai pas la même patience que ma mère et peux m'échauffer rapidement lorsqu'un ordre ou conseil n'est pas compris, mais Finley réagit souvent bien et se corrige automatiquement. Il est d'une aide énorme et je lui en suis reconnaissante même si je ne le manifeste pas de la meilleure des manières.

— Oh... en obtenant mon diplôme, je ne savais pas où m'inscrire, balbutie-t-il comme explication, croyant mettre fin à mon intérêt.

Pourtant, je décide de ne pas m'arrêter pas là et l'observe un instant. Du haut de son mètre soixante, il me paraît tout frêle à côté de moi. J'en suis sûre que derrière cette apparence fragile et discrète, se cache un esprit créatif qui bouillonne d'idées. J'ai déjà remarqué qu'il avait un cahier dans lequel il écrivait durant ses pauses. Un journal intime ? J'en doute. Il ne se permettrait pas d'écrire en public des choses privées qui pourraient être lues par n'importe qui. Son profil ? J'opte pour un amoureux des lettres, un qui renifle les livres dans les librairies, un qui a le majeur tordu à force de trop rédiger avec son plus beau stylo et qui nourrit le rêve d'être publié. Un poète ? Oui, un diseur de vers qui fleurissent sur les pages blanches qui passent sous sa plume. Ses bras nus me dévoilent une encre noire. Des fleurs sauvages. Une citation. Des notes de musique. C'est une âme sensible à l'art et aux plaisirs exquis de la vie.

— Dans une faculté de lettres, peut-être ? émets-je sans-gêne.

Il s'arrête de laver la vaisselle et me fixe étrangement avant d'oser les épaules et de poursuivre sa tâche.

— Allez, Finley ! Ne me dis pas que tu n'y as pas songé ?! J'ai remarqué que tu aimes écrire, lui souffle-je tout en lui donnant un coup d'épaule qui a le don de le déséquilibrer un instant.

— Ce n'est pas parce qu'on écrit qu'on doit aller en fac de lettres, Sherlock.

Waw. Finley vient enfin de dire ce qui lui passait par la tête et a osé m'affubler du nom de « Sherlock ». La surprise doit se lire sur mon visage parce que j'entends ma mère ricaner. Elle a suivi notre échange et balance à Finley des félicitations pour avoir réussi à me clouer le bec deux secondes.

— Vous avez tout à fait raison, Watson. Peut-être pourriez-vous me parler de votre passion pour votre petit cahier ? lui lance-je avec un accent mondain, le faisant rire et le détendant instantanément.

— J'y écris des petites compositions poétiques, m'avoue-t-il finalement.

J'en étais sûre ! Je ne fais que murmurer un « cool », qui n'a même pas le talent de l'interpeller. Il poursuit la vaisselle sans un mot, comme si nous n'avions jamais discuté à ce sujet. Finley semble avoir du mal à s'exprimer oralement. C'est une personne renfermée qui souffre d'une tendance au mutisme. Je l'au tout de suite deviné dès ma première journée ici lors de mon retour. Il ne parle pratiquement pas avec ma mère et avec moi, c'est silence radio ! En évoquant le calme, il est rompu par des coups qui sont frappés au chambranle, à l'entrée de la cuisine. Nos têtes se relèvent de notre besogne et se tournent vers l'origine des coups. Ainsley, tout sourire, se tient dans l'entrée et a troqué sa salopette contre un jeans accompagné d'un t-shirt et de grosses chaussures de randonnée. Le même rictus énigmatique, il me fait signe de l'index de le suivre sans un mot. Je lui renvoie un regard interloqué. Impatient, il soupire et finit par me demander :

Victoria Falls (T2 de Thistly Heart)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant