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C'est quelqu'un de très ouvert, intéressé par beaucoup de choses. Je l'enviais. J'aurais aimé pouvoir comme lui m'intéresser, découvrir, me passionner. Il touche à tout. Il aime se tenir au courant de l'actualité politique, écoute une grande variété de musique, joue au basket, travaille en cours par envie, se cultive constamment... Dès qu'on lui parle de quelque chose de nouveau, il fait des recherches dessus.

Moi, j'essayais de m'inspirer de lui. Je venais chez lui, et j'arrivais parfois à l'imiter et travaillais. Je n'ai jamais trouvé la force de m'intéresser à l'école. Je m'en suis sortie jusque là sans forcer, me contentant de faire ce que je pouvais. Il faut croire que j'ai des facilités puisque je me retrouve maintenant en première année post-bac, faute d'avoir trouvé autre chose à faire. Il n'était pas question que je commence à exercer un métier. Mais bon, quelque chose me dit que cette année, ça ne passera pas.

Ses parents ne m'ont jamais aimée, et ça se comprend. Je n'ai jamais fait l'effort d'avoir une réelle conversation avec eux. Ils devaient avoir l'impression que je tirais leur fils vers le bas, ce qui devait être le cas d'ailleurs. J'ai toujours eu l'impression d'avoir un effet négatif sur lui, à commencer par le fait qu'il faisait tout pour me bouger, persuadé qu'il pouvait me changer et me donner envie de vivre. Impossible.

Je ne fais rien de mes journées. Je n'ai envie de rien faire. Je n'aime rien, et ça passe aussi par le fait que je n'aime pas ne rien faire. Il ne faut pas croire, mais il n'est pas facile de ne rien vouloir. Je ne supporte pas d'être assise sur un canapé à rien faire. Je ne peux pas glander devant la télévision ou sur mon téléphone (qui ne me sert d'ailleurs qu'à contacter mes parents, ou Neil, avant), je ne peux pas lire, je ne peux pas pratiquer de sport.

Du coup je marche. Je marche autour de chez moi, revenant à la maison pour manger (sinon mes parents me prendraient la tête), ou pour dormir, si j'arrive à dormir. Je marche dans le silence, toujours seule face à mon vide, entourée de mon vide, emplie de mon vide. Je finis par connaitre par cœur les environs, bien sûr. Je n'aime pas revoir toujours la même chose, mais je n'aime pas forcément découvrir de nouveaux paysages. Je suis tout de même obligée d'aller de plus en plus loin. Au final, ça maintient mon corps en forme.

Je passe devant la résidence de Neil, seule dans la nuit d'un octobre déjà froid. Je ne m'étais pas rendue compte que j'avais parcouru tant de chemin, et mes pas m'ont menée jusqu'ici. C'est à deux stations de métro de chez moi, il faudrait que je fasse demi-tour. Je connais ce coin à force d'y être venue, à chaque fois suite à une proposition de Neil. Cela fait déjà deux mois que nous sommes ici, pour nos études. Je ne doute pas de l'inutilité des miennes, comme de la réussite des siennes. La sociologie l'a toujours passionné. Moi je n'ai toujours aucun intérêt.

Il m'a toujours dit, sans aucune brutalité ou une quelconque mauvaise intention, que mon état d'esprit constant était anormal, et mauvais pour moi. Que personne autour de nous n'était comme moi, et que si je n'étais pas capable d'aller bien il y avait une raison. Il était persuadé de pouvoir m'aider, qu'il pourrait trouver d'où ça venait. Que pouvait-il bien faire pour moi ? Personne ne peut rien pour moi. Il ne me l'a pas dit, mais je me doute bien qu'il en a parlé avec mes parents. Pour m'aider.

Je ne sais pas si cela fait longtemps qu'ils ont compris qu'un truc clochait chez moi. Que j'étais anormale. En tout cas, je sais qu'ils se demandent ce qu'ils ont pu faire de mal, et ce qu'ils peuvent faire pour m'aider. Ils ne peuvent pas comprendre que ce n'est pas de leur faute et que le problème vient de moi. Je n'ai pas la force de le leur expliquer, comme je n'ai pas eu la force de m'ouvrir au psychologue qu'ils m'ont fait voir. Qu'aurais-je pu lui dire ?

Je passerai ma vie entière comme ça. Je n'ai aucune raison de vivre, aucun but. Je n'ai rien qui me fasse tenir, rien qui me motive à endurer quoi que ce soit. Je ne sais pas ce que je veux, je ne sais même pas pourquoi je suis là. Vais-je tenir longtemps ainsi ? Vais-je supporter longtemps cette vie qui n'en est pas une ? Je ne profite de rien. Je suis vide. Je ne suis rien.

Je suis vide, je ne suis rien.

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⏰ Last updated: Aug 08, 2020 ⏰

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DecemberWhere stories live. Discover now